Echo Bruit
n° 132
03.2011
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Dossier :
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assises nationales de
la qualité de l’environnement sonore
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le magazine de l’environnement sonore
Mignot, le président d’honneur du CNEJAC (Collège national
des experts judiciaires en acoustique).
« Il y a,
dit-il,
une
inadéquation fondamentale du règlement liée au fait que le
seuil d’infraction doit être quantifiable tandis que la gêne
sonore qui relève dans les domaines du bruit du déplaisir ne
saurait heureusement faire l’objet de mesurage. »
« Au hit-parade des plaintes reçues par notre association
nationale, en 2009, 26 % concernaient les cris d’animaux, le
plus souvent les chiens,
constate Anne Lahaye, présidente
de l’Association antibruit de voisinage.
Viennent ensuite les
bruits d’immeubles ou de maisons mitoyennes. En fait, il y a
de plus en plus de bruit, de jour comme de nuit. Par exemple,
les pompes à chaleur qui n’existaient pas il y a quelques
années, les fumeurs dans la rue, les sonos qui sont boostées,
les téléphones portables dans le train, etc. »
« Les bruits perturbateurs qui proviennent du voisinage
restent faibles, poursuit
Thierry Mignot.
Il faut donc bien
considérer qu’ils ne sont perçus comme gênants non pas
pour leur quantité mais effectivement par la seule nature du
message véhiculé. […] Il est exact que la réglementation telle
qu’elle est interprétée aujourd’hui devient dangereuse parce
que déresponsabilisante. On assiste à une dérive sémantique
qui fait que le règlement est désormais pris pour une norme.
[…] Les promoteurs et maîtres d’ouvrage indiquent dans les
plaquettes commerciales ou les notices descriptives qu’ils
respectent la Nouvelle Réglementation Acoustique comme s’il
s’agissait d’un label de qualité optionnel. L’un des risques
lorsque la réglementation devient une norme, c’est-à-dire
la description du bien faire, est que ce qui n’est pas interdit
devienne permis. »
« Si l’on parle à nouveau de mettre une attestation pour dire
que le logement remplit les normes, aussi bien thermiques
qu’acoustiques,
ajoute Isabelle Rey-Lefebvre, journaliste au
Monde,
c’est bien parce qu’on a constaté empiriquement que
les réglementations peuvent être performantes mais qu’on ne
sait pas grand-chose de leur application. »
De la recommandation à la
sanction
Bref, constate Thierry Mignot,
« sauf menace d’une
sanction pénale, on s’aperçoit malheureusement que les
recommandations ne sont pas suivies d’effets. […] Il existe
aussi des sanctions civiles qu’on oublie toujours de rappeler
dans les cahiers des charges et que l’on ne semble découvrir
qu’en cas de procès. »
Selon lui,
« Il manque un savoir sur le
bruit, sur le mécanisme de la gêne. Le bruit est un support
facile de projection, de ressentiment, d’inconfort et souvent
un symptôme d’insatisfaction, un exutoire. On y déplace
assez souvent des conflits personnels. […] Dans beaucoup
de cas l’inconvénient résulte essentiellement de la mise en
perception du bruit courant de voisinage parce que le bruit
de fond dans les appartements devient très faible, en limite
de mesurage. »
« Le juge est habitué à ces contradictions,
affirme cependant
Jean-Marc Jacob, avocat et responsable de la Ligue française
contre le bruit.
Il les vit et il dispose d’un arsenal qui lui
permet de savoir où est la vérité. […] La réglementation n’est
qu’un des aspects, qu’un des paramètres, qui va permettre
au juge civil de statuer. […] Le juge civil, lui, ne va s’intéresser
qu’à la réglementation et vérifier si les textes sont respectés
ou pas. »
Entre le juge et l’habitant, le constructeur n’est pas loin de
penser qu’il a la position la plus inconfortable. C’est ce que
tend à révéler la description faite par Benoît Dallemagne,
directeur juridique adjoint de Bouygues Bâtiment Ile-de-
France.
« Nous sommes soumis à deux réglementations. La
première porte sur l’immeuble en phase d’exploitation, c’est-
à-dire l’immeuble livré. Là dessus, on a peu de contentieux,
puisque nous livrons des produits respectueux de la
réglementation. Et nous avons pour cela beaucoup travaillé
avec les fabricants de cloisons, par exemple. C’est sur la
partie construction proprement dite, la phase chantier, que
nous rencontrons des difficultés. Malgré tous nos efforts, nos
innovations, notre vigilance, l’information des riverains, nous
ne sommes qu’exécutants. La vraie décision est prise par le
maître d’ouvrage. »
Reste que personne ne conteste Jean-Marc Jacob lorsqu’il
ajoute :
« Ce que l’on peut regretter, c’est la disparité des
textes. Il faut jongler avec la réglementation. »
Ce qui fait
également dire à Thierry Mignot:
« Il faut actualiser le recueil
du Journal Officiel sur le bruit parce que les textes sont trop
divers et trop épars dans les codes. Il faut rassembler et
organiser l’appréhension de la production réglementaire, par
type d’ouvrage et par type d’exigence. Ceci aiderait beaucoup
les concepteurs et les entrepreneurs. Il faut recenser les textes
difficultueux. Il faut promouvoir une juste information sur le
bruit. Il est dommageable pour la bonne compréhension du
bruit qu’une agence d’État publie une plaquette dans laquelle
le bruit des voisins est classé au même ordre que celui des
bruits industriels et des bruits de transports. Il faut cesser
d’exacerber le public vis-à-vis de bruits qui ne sont gênants
que par leur seule signification. Le discours usuel sur le bruit
est psychogène et antisocial. Il faut oser aborder, même si
ce n’est pas facile, l’aspect qualitatif et personnel dans la
perspective d’une meilleure cohabitation dans la cité. »
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