Echo Bruit
n° 132
03.2011
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Dossier :
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assises nationales de
la qualité de l’environnement sonore
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le magazine de l’environnement sonore
S’il est une conviction partagée par tous ceux qui s’intéressent
à la question du bruit, c’est bien l’importance que revêt
l’éducation pour aboutir à une meilleure compréhension
et, dans une certaine mesure, une meilleure acceptation du
phénomène. Encore faut-il s’accorder sur ce que doit en être le
contenu et les destinataires. Ce qui renvoie tout naturellement
à la notion même de bruit, notion qui prête à des interventions
qui pour n’être pas forcément contradictoires, ne sont pas
pour autant homogènes.
Du son au bruit
« Le bruit n’est pas un objet,
plaide ainsi le sociologue
et urbaniste Henry Torgue.
Je crois,
ajoute-t-il
que même
les physiciens sont d’accord pour le dire : le bruit est une
qualification. C’est un son qualifié. C’est parce que quelqu’un
décide que tel son est bruyant qu’il devient bruit. Le bruit
est en fait l’expression d’une relation et je ne pense pas que
l’opposé du bruit ce soit le silence. L’opposé du bruit, ce serait
plutôt le confort sonore ou le plaisir du sonore. »
Il n’empêche que le bruit souffre d’une piètre réputation, tout
au moins d’une perception négative. Même s’il le déplore,
le compositeur Nicolas Frize ne songe pas à le nier :
« Les
sociologues qui font des enquêtes savent que les gens arrivent
à se contredire complètement pendant un entretien. Quand on
les interroge sur les bruits, ils parlent souvent au singulier,
en quantitatif et, pour eux, il y a toujours quelque chose de
négatif. […] Nous avons souvent une représentation du bruit à
l’opposé du rapport que nous avons réellement aux bruits. »
Évoquer le bruit consiste logiquement à s’inscrire dans un
cadre de référence culturel, mais aussi sociologique.
« Toute perception sonore est très intimement liée à la
personne, à son corps, à sa sphère imaginaire,
considère
l’anthropologue Patrick Romieu.
Dans ses mémoires, Berlioz
avoue que les musiques qu’il n’aimait pas le faisaient vomir.
Cette dimension de l’affect est déterminante. Quand on
interroge les gens qui ont vécu la période de l’occupation
allemande, on remarque le frisson négatif, l’angoisse que
pouvait leur donner pendant très longtemps la prosodie de
la langue allemande qu’ils reliaient au bruit des bottes, au
couvre-feu, etc. »
« On ne peut pas parler des bruits sans parler des hommes qui
les entendent, leurs situations, leurs pays, leurs époques… »,
résume Nicolas Frize.
Penser l’entre-deux
Et le géographe Guillaume Faburel de compléter :
«Il me
semble qu’à des problèmes globaux nous avons des
réponses ou des embryons de réponses qui peuvent être soit
d’ordre juridique et, par moments, un peu uniformisantes,
soit provenir de choses plus particulières qui sont fort
intéressantes. L’entre-deux me semble néanmoins encore
à penser. Peut-être que la question des inégalités ou des
injustices environnementales liées au bruit, à des échelles
de villes entières, d’agglomérations – et pas seulement de
l’habitat et du quartier de vie – est essentielle pour l’être et le
fameux « vivre ensemble » dont tout le monde parle depuis dix
ans. Car les phénomènes sonores dont on parle, les questions
de bruits de transports, les niveaux de gêne et leurs ressentis,
les demandes d’implication des populations sont inégalement
distribués dans l’espace. C’est même un phénomène
majeur sur ces vingt dernières années : la ségrégation
environnementale est venue redoubler la ségrégation socio-
urbaine, voire l’étendre à certains territoires. »
Omniprésent mais, somme toute, relativement ignoré,
en tout cas, méconnu quant à sa véritable nature, le bruit
reste singulièrement incompris.
« Dans la plupart des cas,
s’inquiète Jean Tourret (Ince Europe),
l’information « bruit »
est inexistante ou incompréhensible, ce qui fait que le citoyen
moyen n’a pas acquis le réflexe et encore moins la compétence
L’éducation sonore
Un long chemin