Echo Bruit n°135 - page 60

Echo Bruit
n° 135
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Santé
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le magazine de l’environnement sonore
connaissance, par exemple. Il y a une présence au monde
qui ne passe pas par la distance de la représentation, de la
connaissance, de l’intellect(6) Le corps en ce sens constitue
une médiation, une modalité d’appréciation, voire un
instrument de production des effets de la musique.
La réception somatique est un fil rouge que l’on retrouve dans
tous les événements de musique populaire. C’est un trait de
ces musiques que d’être incarnées dans des corps dansants.
D’autre part, les musiques populaires imbriquent souvent
étroitement la musique à des éléments non-musicaux qui
participent du dispositif socio-technique(7) et provoquent
des stimulations sensorielles. Ainsi de la danse, une modalité
bien spécifique de réception musicale, mais aussi des jeux
de lumière, de l’usage d’adjuvants, alcool ou parfois autres
produits psychotropes, les produits de prédilection variant
avec les genres musicaux. Ces éléments non-musicaux
participent également à faire de l’événement musical une
expérience corporelle et sensorielle. On peut distinguer
plusieurs grands dispositifs musicaux, dont l’apparition est
liée à la succession des genres musicaux. Chacun organise
à sa manière les relations à la musique, aux musiciens, au
public, tout en privilégiant certaines expériences sensorielles.
- Le ressort du concert et la scène spectacularisée, vers
laquelle les corps sont tournés. Le concert organise le face
à face de chaque auditeur avec l’artiste ou le groupe, et à
travers lui, le face à face de la foule avec elle-même(8).
- Le festival intègre la scène spectaculaire du concert, mais
se distingue par l’étendue de sa durée et de la foule qu’il
rassemble. Il implique une perte de soi dans une masse
d’individus, la désorientation temporelle, les effets lumineux
et sonores.
- Le club ou la discothèque organisent un espace festif
différent, où le musicien est d’autant moins l’objet de
l’attention visuelle des danseurs qu’il est placé en retrait ou
en hauteur dans une cabine. Le dance-floor organise un entre-
soi du public, ainsi qu’une perte de soi dans l’ambiance et les
stimulations visuelles.
- La rave party et la free party se caractérisent par
l’affranchissement des lieux dédiés aux manifestations
musicales. La free party plus particulièrement organise une
disparition visuelle du musicien, au profit de la présence
physique du son, incarnée dans les murs d’enceinte. C’est un
dispositif qui favorise l’immersion dans le son.
Du côté des auditeurs
La discothèque, le festival, le concert, la rave… sont des
lieux d’appréciation de la musique mais aussi des lieux où
sont recherchées des expériences collectives. Les auditeurs
viennent retrouver des artistes qu’ils connaissent par le
disque, vivre une expérience esthétique, mais aussi partager
ce moment avec d’autres. Cela renvoie à des usages très
anciens de la musique, où celle-ci est associée aux temps forts
de la vie collective. Durkheim nomme état d’« effervescence »
l’excitation collective et la licence qui caractérisent les
moments festifs, qui font rupture avec le cours de la vie
sociale ordinaire. La communauté s’abandonne au chant, à
la danse, les comportements s’affranchissent de la morale
ordinaire. La fonction sociale de la fête serait de provoquer
une effervescence collective et de réaffirmer ainsi l’unité de
la communauté(9). Toute société éprouverait le besoin de
se plonger périodiquement dans cet état d’effervescence
collective. Les événements actuels de musiques amplifiées
se situent dans ce fil rouge : le rassemblement autour de
la musique et les diverses stimulations ont aussi pour
fonction d’entraîner les participants « hors d’eux-mêmes » et
d’éprouver cet intense « être-ensemble ».
Toute écoute de la musique vise à faire advenir un état
émotionnel chez l’auditeur(10). Écouter ensemble de la
musique vise à faire advenir une expérience collective autour
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