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Echo Bruit
n° 135
g
Santé
le magazine de l’environnement sonore
La
musique occupe une place toujours
plus importante dans le quotidien, les
styles de vie et les loisirs, comme le
montre la toute dernière enquête sur
les pratiques culturelles des Français (1). L’écoute de la
musique, la participation à des concerts et des événements
musicaux occupent notamment une place privilégiée dans
les pratiques des jeunes, avec des préférences musicales qui
sont étroitement articulées à des logiques générationnelles.
Ces musiques forment un ensemble composite en termes
de genres et d’esthétiques : du rock au hip hop, du métal
aux musiques électroniques, du punk à la pop. Plusieurs
dénominations sont employées à leur propos : tandis que
l’institution parle de « musiques actuelles », la notion de
« musique amplifiée » met l’accent sur la place centrale de
l’électrification et de l’amplification(2).
Les Anglo-saxons, chez qui ces musiques sont l’objet d’un
domaine académique bien délimité, parlent, quant à eux,
de musiques populaires (popular music), les distinguant
ainsi des musiques savantes (art music) et traditionnelles
(folk music), et les rattachant à une série de transformations
affectant le secteur musical, notamment l’avènement des
technologies d’enregistrement et de reproduction du son, la
professionnalisation du secteur, l’insertion dans l’économie de
marché et la large distribution par les industries culturelles(3).
L’apparition de l’enregistrement et des supports d’écoute,
du disque vinyle au MP3, a généré une musicalisation du
quotidien et le développement d’une culture de l’auditeur,
de l’écoute et de l’appréciation de la musique pour elle-
même (4). Dans le même temps, l’amplification a perpétué
les usages collectifs et festifs de la musique, en permettant à
la musique d’être écoutée collectivement dans des contextes
aussi divers que la discothèque, le concert, le festival, ou
encore la rave party. Ces événements sont les moments
privilégiés d’une relation collective et corporelle à la musique.
Les musiques populaires et les corps
L’appréciation corporelle constitue une modalité spécifique
d’expérience esthétique. La distinction opérée entre art music
et popular music par les anglo-saxons recoupe une distinction
entre deux modalités d’appréciation de la musique : les
premières appellent généralement un engagement de l’esprit
(mind) tandis que les secondent appellent souvent une
appréciation par le corps (body). Ressentir, en musiques
populaires, est davantage une expérience sensorielle que
mentale : un bon concert de musique savante est celui qui
demande à ce que le corps disparaisse tandis que l’esprit
se laisse subjuguer par la musique, alors qu’un bon concert
de musique populaire se mesure à l’intensité de la réponse
physique des auditeurs(5). Ce type d’appréciation a pu être
dévalorisé, du fait de la survalorisation de l’intellect et de la
raison au détriment des corps dans la société moderne, mais
il n’en reste pas moins qu’il constitue une modalité propre
de se mettre en relation avec la musique, d’en ressentir ses
effets. Un philosophe comme Merleau-Ponty rappelle que le
corps est notre ancrage et qu’il a sa propre manière d’accéder
au monde, une manière originale, distincte de l’intention de
Voyage au cœur des musiques
amplifiées
Engagement des corps, intensité sonore et
expérience collective*
Anne PETIAU, Sociologue (ITSRS/CEAQ)