Echo Bruit n°136 - page 12

Echo Bruit
n° 136
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Dossier :
Eco-quartiers et
environnement sonore
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le magazine de l’environnement sonore
sportives) mais également dans les pratiques familières des
espaces quotidiens. Certes, les formes d’expressivité diffèrent
et les modalités se nuancent mais il n’y a pas de rupture
entre les sons, les bruits et les œuvres musicales, qui sont
simplement des degrés de progression et d’organisation du
sonore. Tous les phénomènes sonores impliquent fortement
l’affectivité et provoquent des émotions qui débordent parfois
totalement le contrôle rationnel. Mode privilégié d’expression
des affects individuels et collectifs, le champ sonore est un
enjeu capital de manifestation, régulation, confrontation et
dépassement des contradictions et conflits sociaux.
Le sonore et les autres
C’est souvent par le sonore qu’autrui frappe à notre
conscience : voisinage, circulation, activités intempestives…
Et cela, de deux manières : la première s’exprime par la
pensée que le sonore est « autre ». Le « bruit » ressenti
provient du champ externe à sa propre sphère. Il envahit, il
agresse, il incarne ce qui bouscule une identité. Il est « autre »
en ce qu’il ne m’appartient pas, en ce qu’il n’a pas de lien
avec mes propres actes, en ce qu’il révèle le monde extérieur
comme une menace. Il est souvent jugé autre également par
sa nature phonique : le message sonore entendu n’est pas
écouté mais exclu de la perception a priori.
« Le bruit, c’est les autres », seconde formulation entendue
pour caractériser l’altérité révélée par le sonore, témoigne
bien de la séparation étanche que l’on opère entre la légitimité
de nos propres activités, y compris sonores, et le sans-gêne
des autres qui nous imposent leurs bruits divers. Le sonore
focalise souvent l’enjeu de la cohabitation entre plusieurs
groupes. Il témoigne des difficultés du vivre ensemble et des
tentatives pour harmoniser dans un même espace différents
modes de vie, des activités diversifiées, des horaires
distincts… À sa façon, le sonore pose la question de la vie
collective autant qu’il rappelle les dimensions corporelle et
affective. Mais, point crucial de l’expression des problèmes,
il peut aussi devenir le terrain de mise en perspective des
solutions : s’entendre, c’est à la fois s’écouter et se mettre
d’accord.
À titre d’exemple de l’imbrication des difficultés rencontrées,
une enquête d’Acoucité
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a interrogé des élèves (9-11 ans)
sur le thème : qu’est-ce qui vous gêne pour dormir ? Les
éléments sonores dominent parmi les facteurs perturbateurs
du sommeil : les bruits de circulation représentent 11 % des
réponses. Mais le son qui arrive en tête des facteurs de gêne
est celui de la télévision (16 %) ; pas le téléviseur des voisins,
celui de leur propre logement ! L’altérité intervient au sein
même du territoire familial. La vie commune se joue donc à
des échelles multiples et met en convergence les conditions
techniques (dont l’isolation est seulement l’un des aspects),
l’organisation spatiale et l’acceptabilité des contraintes.
Pour une approche à multi-entrées
Les nombreux acteurs de l’environnement sonore développent
des compétences multiples (ingénieurs et techniciens,
chercheurs, acousticiens, juristes, décideurs politiques,
aménageurs, architectes, habitants, artistes…). Aujourd’hui,
tous ces acteurs savent qu’aucun d’entre eux ne détient seul
la solution des problèmes.
Beaucoup s’accordent à penser qu’il est nécessaire
aujourd’hui de dépasser l’idéologie de la nuisance pour
poser la qualité sonore comme objectif de la conception et
de l’aménagement, parce qu’elle est une des conditions du
vivre-ensemble.
Parce que le sonore engage des enjeux primordiaux sur la
place de l’humain dans le développement urbain, il importe
que la conception, la réalisation et l’accompagnement des
éco-quartiers ne se cantonnent pas à une protection technique
contre les nuisances sonores externes, même si celle-ci est
pleinement justifiée et indispensable, mais placent parmi
leurs objectifs la qualité des ambiances sonores vécues, seule
garante d’une appropriation à la fois profonde et durable.
* Sociologue au centre de recherche sur l’espace sonore et
l’environnement urbain (CRESSON) à l’École Nationale Supérieure
d’Architecture de Grenoble, diplômé de Sciences Politiques et
docteur en études urbaines, Henry Torgue est directeur de l’unité
de recherche 1563 CNRS/MCC Ambiances architecturales et
urbaines. Il a publié plusieurs ouvrages sur la ville, l’imaginaire et
l’environnement sonore.
Contact:
Henry TORGUE
UMR - Ambiances Architecturales et Urbaines
CRESSON
60, avenue de Constantine
B.P. 2636
38036 GRENOBLE CEDEX 2
Mail:
n
2 - Acoucité, Pôle de compétence bruit du Grand Lyon. Compilation des
enquêtes scolaires. Période 2006-2008. Document de travail d’une étude
réalisée en continu.
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