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Etude lexicographique de la notion de calme du XVIe siècle à nos jours
Les excès du calme
Par excès de calme, il faut comprendre le calme long et
profond qui est associé synonymiquement au silence,
comme c’est le cas, par exemple, dans le Petit Larousse
Illustrée de 1906 à 1957. Le calme est associé au silence
par opposition au bruit. D’ailleurs dans le Dictionnaire de la
langue Française d’Emile Littré (1863) le silence est défini
comme « Calme, absence de bruit ». Suivant cette logi-
que, il serait aisé de définir une zone calme par le silence
qui y règne. Cependant, une zone calme doit être perçue
comme une zone recherchée de bien être, où il fait bon
être et se reposer. Or le silence pour la tranquillité de
l’esprit n’est pas le plus approprié. Dans de nombreuses
citations, le silence n’est pas associé au bien-être et au
repos de l’esprit. Dans le Littré (1863), nous trouvons :
« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » ou
encore « Un silence absolu porte à la tristesse ; il offre
une image de la mort ; alors le secours d’une imagination
riante est nécessaire ». Le silence est même dans certains
cas craint et fuit, comme nous le montre cette citation
extraite du Trésor de la Langue Française (1971-1994) : «
Pour fuir l’envoûtement des vieilles choses, cette pénom-
bre et ce silence insalubre des salles du Louvre, je suis
entré à la Samaritaine ». La Samaritaine, grand magasin
parisien du 1er arrondissement, n’était pas réputé pour
être une zone calme mais plutôt un espace de bruit et
d’agitation où les gens se pressaient en tout sens. On
remarquera donc que les citations accompagnant la défi-
nition du calme par le silence ne le prônent pas et que
cette sorte de calme n’est subjectivement pas un calme
souhaité. Le silence ne doit pas être subi. On recherche
le silence comme on recherche le calme à un moment ou
dans un lieu où l’on en exprime le besoin. Le silence, tout
comme le calme, ne doit pas être un état permanent ;
on a besoin du bruit précédent ou à venir pour apprécier
toute la dimension du silence. La citation de Pierre Loti,
trouvée dans le TLF (1971-1994) résume bien la notion
de silence et de calme : « ... à la fin, cet excès de calme
dans les entours est pénible, il cadre mal, il déroute et
il oppresse ; on aimerait mieux de l’agitation, des cris,
des fusillades ».
Tout comme une longue absence d’agitation (cf. §Le calme
dans les dictionnaires encyclopédiques, la mer calme),
un silence trop important n’est pas forcement souhaité.
Il est le reflet du monde de l’incréé, de l’inerte, de l’an-
goisse… Une zone calme ne peut donc pas être définie
par le silence.
La lexiculture du calme
Méthode d’analyse
La lexiculture est un concept développé dans les Etudes
de linguistiques appliquées par Robert Galisson, lexico-
logue et professeur à l’université de la Sorbonne [6]. Il
désigne la culture commune qui existe autour d’un mot
et la façon dont tout le monde l’utilise. La lexiculture,
contrairement à la sémantique, correspond à une étude
plus poussée du mot : elle ne se limite pas à l’étude du
sens que l’on trouve dans l’habituelle définition dictionnai-
rique. Cette analyse apporte une information supplémen-
taire sur les idées que le mot véhicule et sur son ancrage
dans la langue. La lexiculture comprend tout ce qui se
rattache implicitement au mot et qui se trouve enraciné
dans la culture populaire [7]. Cet aspect là du mot s’avère
très souvent absent d’une définition de dictionnaire. Le
mot «écureuil», par exemple, est défini dans le Nouveau
Petit Robert 2010 comme : « Petit mammifère rongeur,
au pelage généralement roux, à la queue longue et en
panache, qui vit dans les bois. ». Cependant, dans tous
les esprits, l’utilisation de ce mot apporte d’autres analo-
gies comme la banque, ou l’argent. Les recherches diction-
nairiques effectuées précédemment, nous ont permis de
mettre en avant un concept lexiculturel du calme, à savoir
l’association avec la nature.
La nature, la campagne, le calme
Aujourd’hui instinctivement lorsque qu’on utilise le mot
«calme», dans le sens d’un endroit calme, on a tendance
à l’associer spontanément à la nature, à la campagne, au
vert. Cette dimension culturelle d’association du calme
et de la nature est apparue clairement dans la seconde
moitié du XX
e
siècle. On la trouve dans le Grand Robert
de la langue Française d’Alain Rey (2
e
édition, 1985) sous
l’expression, « le calme de la campagne ». Cette expres-
sion est ensuite reprise dans de nombreux dictionnaires
comme dans le Trésor de la Langue Française (1971-1994) :
« [dans la nature] Le calme de la campagne, des nuits »
ou « [En parlant de la nature] Paysage, site calme ». Puis,
dans la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie
française (1992), on trouve : « un paysage calme » dans
la définition de l’adjectif et « le calme de la campagne »
pour le nom. Ces deux groupes nominaux de définition de
la notion de calme étaient absents de la huitième édition
(1932-5). Enfin, plus récemment, dans le Nouveau Petit
Robert 2010, on trouve également l’association du calme
et de la campagne.
Cette association du calme et de la campagne passe
par l’idée de nature et est reliée par analogie à la couleur
verte. Le mot «vert», dans le Petit Larousse 1959, est
défini à travers l’expression « se mettre au vert » dans le
sens «aller se reposer à la campagne». On retrouve, par
cette expression, le verbe «se reposer» qui exprime un
besoin de calme et le mot «campagne» qui est associé à
la nature et par opposition à la ville. On trouve ainsi l’as-
pect multi sensoriel de la perception du calme.
Conclusion
La not ion de calme comme nous la connaissons
aujourd’hui s’est construite depuis 1418 (date d’attes-
tation) et a évolué dans les dictionnaires depuis le XVI
e
siècle. Elle a intégré, au fur et à mesure, de nouveaux
sens jusqu’à devenir le calme que nous connaissons et
que nous employons quotidiennement. En rapport dans
un premier temps à la mer, le calme est utilisé en oppo-
sition à l’agitation : le calme après la tempête. Il est
ensuite très vite rattaché à l’esprit : ni ému, ni agité.
En comparaison à une situation de trouble, le calme
exprime un retour à un état plus stable. Il devient alors
synonyme de repos et de tranquillité. Le calme par
analogie est ensuite associé à l’absence de bruit. Mais
définir le calme par l’absence de bruit est une notion
qui a demandé plus de 300 ans avant d’être intégré par
tous les dictionnaires et donc plus largement par tous
dans le langage. Aujourd’hui, reconnue en tant que telle,
cette association n’était pas encore courante jusque