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Etude lexicographique de la notion de calme du XVIe siècle à nos jours
dictionnaire ayant eu recours au mot «calme» pour expli-
citer une définition. C’est-à-dire répondre à la question :
quel est l’usage fait du mot «calme» dans les dictionnaires
? Ce travail, long et fastidieux, est aujourd’hui largement
facilité par l’informatisation des dictionnaires et la possi-
bilité de réaliser des recherches dites en «plein texte». Ce
type de travail consiste à trouver tous les emplois du mot
dans les dictionnaires indépendamment de sa définition
propre. Cette méthode permet de mettre en avant le sens
et l’emploi du mot dans différents contextes. Elle permet
de proposer une définition beaucoup plus riche que si nous
nous étions limités à la définition propre du mot et permet
ainsi de construire un réseau lexical, c’est-à-dire une liste
de mots en rapport avec la notion cherchée.
Pour cette étude, la deuxième investigation dictionnairi-
que a été réalisée dans le Trésor de la Langue Française
Informatisé (TLFi ). Le choix de ce dictionnaire s’est fait
pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le TLF est un ouvrage
«magistral» paru de 1971 à 1994, dirigé par Paul Imbs puis
Bernard Quemada, deux grands noms de la lexicographie
française. Ils y ont défini plus de 100 000 mots contenus
dans 16 volumes. L’étude de ces documents permet de
donner des définitions très larges des mots. On y trouve
des informations sur la prononciation et l’orthographe, ainsi
que sur l’étymologie et l’histoire du mot. C’est également
un ouvrage résolument moderne qui, dans la suite de son
édition, a été adapté en format informatique et a été rendu
disponible sur internet, ce qui, d’un point de vue pratique,
facilite considérablement les recherches.
En effectuant une recherche «plein texte» dans le Trésor
de la Langue Française Informatisé (TLFi), 1 278 emplois
du mot et de l’adjectif «calme» ont été trouvés. Après un tri
et une sélection des mots, cette recherche nous offre une
liste de noms, d’adjectifs et de verbes qui se rapportent à
la notion de calme. Ces mots ont ensuite été approfondis
par leurs recherches dans cinq autres dictionnaires choisis
pour couvrir toute l’époque d’étude. Parmi ces dictionnai-
res, nous avons utilisé : Le Dictionnaire de Pierre Richelet
(1680), la 4
e
édition du Dictionnaire de l’Académie française
(1763), le Dictionnaire d’Emile Littré (1863), Le Petit Larousse
Illustré (1959) et le Nouveau Petit Robert (2010).
Le calme en tant que lieu
De nombreux lieux sont définis par l’adjectif «calme» dans
le TLFi et les autres dictionnaires, notamment : un asile,
une oasis, un réduit, une thébaïde… et certains d’entre
eux nous apportent des informations sur les dimensions
du calme.
Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés
au mot «asile». Dans le TLFi, un asile est défini de la façon
suivante : « Lieu de calme et de repos recherché et senti
comme un lieu privilégié, souvent dans la nature ». Dans le
Petit Larousse Illustré de 1959, on le définit au sens figuré
comme « lieu où l’on trouve le calme ». On remarque que,
que ce soit en 1959 ou plus récemment en 2004, l’asile
est caractérisé comme un lieu de calme. On le décrit
comme un endroit « recherché » et « privilégié » soit en
d’autres termes un lieu désiré (peut être du fait qu’il soit
propice au repos), caractérisé ici par la présence de la
nature. De plus, l’utilisation du verbe « recherché » dans
la définition, laisse sous entendre qu’une zone de calme
est un lieu à trouver qui n’est pas forcement connu par
avance et cette deuxième idée de caractérisation d’une
zone calme vient renforcer son caractère d’endroit privi-
légié. Un «asile» dans sa définition lexicographique repré-
sente un exemple typique de zone calme.
En poursuivant les recherches sur les lieux caractérisés
dans les dictionnaires par le calme, nous avons également
relevé le mot «oasis». Celui-ci est défini, dans le TLFi, de la
façon suivante : « Lieu qui tranche sur son environnement
en raison de la verdure, de la fraîcheur ou du calme qu’il
offre. ». Cette définition nous offre, tout comme celle de
l’asile, une analogie à la nature par l’utilisation du terme
verdure. Mais la notion la plus importante qui apparaît
ici est l’utilisation de l’expression « qui tranche avec son
environnement ». On trouve ainsi une idée importante de
rupture entre la zone dite calme et son environnement
extérieur pris en référence. La zone est calme, verte, fraî-
che, l’extérieur ne l’est pas. Cette idée de rupture entre
deux environnements se retrouve à travers de nombreu-
ses citations relevées lors des recherches, comme, par
exemple dans le TLF (1971-1994): « Quand quelquefois
tout s’agite et bruit en la maison, et que j’entends cela du
calme de ma chambrette, le contraste me fait délices ».
Ici aussi, nous retrouvons l’idée de changement entre les
différentes pièces de la maison et le calme de la chambre.
Une oasis, dans le Petit Larousse Illustré 2010, est définie
comme : « Lieu, situation qui procure du calme ; refuge.
Une oasis de silence ». Dans cette définition, on trouve dans
un premier temps l’idée de refuge à travers un lieu calme.
Ce mot marque là aussi une rupture avec l’environnement
extérieur. Un refuge est trouvé en protection du monde
qui nous entoure pris en tant que référence. Or pour qu’il
y ait référence, il faut qu’il y ait changement, donc évolu-
tion. Le calme est donc sujet à une évolution spatiale. Un
changement peut être ressenti lors d’un passage entre
une zone agitée et une zone calme.
Une première dimension du calme ressort de cette analyse.
Cette rupture implique de prendre en compte une dimen-
sion spatiale dans la définition d’une zone calme.
Les périodes de calme
Par une analyse des synonymes et notamment à travers le
Nouveau dictionnaire universel des synonymes de Guizot
(1809), une nouvelle dimension du calme peut être mise
en avant. Dans ce dictionnaire, l’auteur réalise une compa-
raison de calme avec l’adjectif «tranquille». Ces deux mots
souvent cités en synonymes ne se définissent pas de la
même façon. Certes, ils expriment tous les deux l’absence
d’agitation. Cependant, la tranquillité définit une situa-
tion en soit, dans le temps présent, indépendamment de
toute autre situation alors que le calme, lui, est utilisé au
regard des événements passés ou futurs. Le calme fait
suite ou précède une situation plus agitée. Cette distinc-
tion, apportée au mot «calme», lui confère une dimension
temporelle caractéristique qui ne se trouve pas dans ses
synonymes.
Cette différence étant relevée, nous sommes davantage
aptes à comprendre le sens des expressions couram-
ment utilisées comme : «une nuit calme», «dans le calme
de la soirée», «le calme de l’aurore» … Elles ont toutes un
rapport temporel et elles sont toutes placées en compa-
raison d’un autre moment journalier beaucoup plus agité.
Il apparaît par ces expressions que certaines périodes de
la journée sont plus propices au calme que d’autres.
Le calme tel qu’il se définit intègre donc une dimension
temporelle qu’il ne faut pas oublier dans la définition d’une
zone calme.