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Etude lexicographique de la notion de calme du XVIe siècle à nos jours
Enfin, le Dictionnaire de l’Académie française (1694) repré-
sente la norme ainsi qu’une conception puriste de la langue.
Il renseigne sur la forme, l’emploi et l’étymologie du mot,
c’est un dictionnaire descriptif. La définition produite a une
structuration logique et apparaît très souvent accompagnée
d’un exemple donnant l’usage courant du mot. Le dictionnaire
de l’Académie est le fondateur d’une lignée de rééditions
puisque nous en sommes aujourd’hui à la neuvième.
Le calme selon l’Académie française
Le Dictionnaire de l’Académie française est le premier
dictionnaire à associer le calme à la notion de bruit. Dès sa
première édition en 1694, il définit «calme» en tant qu’adjec-
tif comme : « adj. des deux genres, Tranquille, sans agita-
tion. La mer est calme. l’air est calme. lieu calme & hors
du bruit. On dit fig. Esprit calme. vie calme & tranquille ».
En tant que substantif, il est défini comme : « Calme. s.
m. Bonace. Quand il fut en haute mer. le calme le prit &
l’empescha d’avancer. il y a de grands calmes dans cette
mer-là. Il signifie fig. Tranquillité. Je vis icy dans un grand
calme, un doux calme. le calme de l’esprit ». A travers
ces définitions, plusieurs notions du calme apparaissent.
On l’associe à l’absence d’agitation, par la mer et l’esprit,
et à l’absence de bruit. Cependant, sa définition histori-
que en terme maritime a perdu de l’importance car elle
se trouve reléguée derrière les termes « tranquille, sans
agitation » pour l’adjectif bien qu’il reste au premier rang
dans la définition du nom.
On remarque peu d’évolution jusqu’à la 4
e
édition du diction-
naire de l’Académie (1762). Dans cette édition, le calme
admet une nouvelle association avec la santé. On parle
d’un malade calme pour dire qu’il est sans agitation et sans
douleur, notion qui perdure encore actuellement.
Dans la dernière édition du dictionnaire de l’Académie,
édition encore inachevée, la définition du calme intègre,
pour la première fois, l’idée de « quartier calme ». Un sens
très proche de l’expression «zone calme» qui est à l’ori-
gine de ce travail.
Le calme dans les dictionnaires descriptifs
En 1680, Pierre Richelet dans son dictionnaire définis-
sait l’adjectif «calme» en premier sens comme : « adj.
Qui n’est point agité par la tempête [mer calme] » et en
second sens comme : « Qui n’a l’esprit ni ému, ni agité
[son esprit est calme] ». Il ne s’agit alors que d’absence
d’agitation. L’absence de bruit n’apparaît qu’en 1863 dans
le dictionnaire d’Emile Littré : « Tranquillité, absence d’agi-
tation et de bruit », soit plus de 150 ans après le diction-
naire de l’Académie.
Par la suite, la notion de calme en rapport avec le bruit
est tout naturellement présente dans Le Grand Robert
de la langue française (1985). Dans celui-ci, elle apparaît
également en deuxième définition après l’absence de vent
caractérisée par « un état d’immobilité ». Dans cette défi-
nition, un complément est apporté à l’absence d’agitation
et de bruit, on évoque ainsi l’idée « d’impression de repos
qui en résulte, ou, péj., de stagnation qui en découle». Le
calme est présenté ici et pour la première fois dans un
dictionnaire, comme favorable au repos bien que l’idée
ait déjà été développée dans la littérature (cf. §Premières
apparitions du mot calme).
Dans la dernière version du Nouveau Petit Robert 2010, le
nom «calme» est offert comme « 1. État d’immobilité de
l’atmosphère, de la mer. Calme plat : calme absolu de la
mer.
⇒
bonace. Un voilier immobilisé dans un calme plat
(
⇒
encalminé) ». Puis en deuxième définition, dans son
sens «absence de bruit», il est donné de la façon suivante :
« 2. Absence d’agitation, de trouble, de bruit. Le calme
de la nuit. Le calme de la campagne.
⇒
paix, tranquillité.
Chercher le calme, aspirer au calme.» On notera égale-
ment, dans le Petit Robert, la présence d’expressions
propres à l’usage courant du mot calme.
Le calme dans les dictionnaires encyclopédiques
Le premier dictionnaire de genre encyclopédique est celui
d’Antoine Furetière (1690). Dans sa définition, un nouvel
aspect du calme est mis en avant : « Temps serein et tran-
quille, où il ne fait aucun vent qui puisse faire avancer les
navires. Ce que les Mariniers craignent le plus en pleine
mer, ce sont les calmes qui durent long-temps, […] Le
calme est avantageux aux Galeres & dangereux aux vais-
seaux voilliers ». Antoine Furetière dans cette définition
présente l’idée qu’un calme trop long peut être dange-
reux. En effet, même lorsqu’un voilier n’avance pas, son
équipage consomme les vivres ce qui risque en cas de
prolongation d’aboutir à une situation de famine. À travers
cette définition, apparaît une notion de danger associée
à la présence d’un calme excessif.
Dans la suite de la structuration du dictionnaire de Furetière,
nous avons le Grand Dictionnaire du XIX
e
siècle (1865)
qui définit le calme à la fois par la mer et par l’esprit. À
la fin du XIX
e
siècle, le calme est, dans les trois courants
dictionnairiques, défini par une absence d’agitation, qu’elle
soit physique ou morale. Mais dans ce courant dictionnai-
rique, l’association du calme au bruit n’est réalisée que
bien plus tard et c’est à travers l’étude de chaque millé-
sime du Petit Larousse Illustré (1906-2010), que nous nous
apercevons qu’elle n’apparaît qu’en 1999. Cependant en
1906, le synonyme de silence est donné dans la défini-
tion et on le trouve, d’ailleurs, jusqu’en 1957. Dans le millé-
sime de 1958, qui contient de nombreux changements, le
silence n’apparaît plus. L’association du calme au sonore ne
paraît donc pas encore solidement ancrée dans le langage
courant. L’idée de définir le calme par l’absence de bruit
n’apparaît dans les dictionnaires du Petit Larousse Illustré
que dans le millésime de 1999 avec la définition de l’ad-
jectif : « 1 Calme : adj. 1. Sans agitation, paisible. Mener
une vie calme. 2. Qui manifeste de la maîtrise de soi, de
la sérénité. Rester calme. Gestes calmes. 3. Qui fait peu
de bruit. Des voisins calmes. 4. Qui a une activité réduite.
Les affaires sont calmes. ». Dans la définition de l’adjec-
tif, on ne fait plus référence à la mer alors que dans la
définition du nom, l’exemple de la mer calme est toujours
présent pour illustrer l’absence d’agitation.
Cette définition du calme demeure aujourd’hui inchangée
et n’est plus spontanément associée à la mer.
Le champ lexical du calme ou la 2
e
investigation
dictionnairique
Méthode d’analyse
Après nous être intéressés à l’évolution du sens de calme,
nous nous sommes penchés sur l’étude des mots et des
notions qui pouvaient s’en rapprocher. Pour cela, nous
avons utilisé une méthode développée par Jean Pruvost,
appelée la deuxième investigation dictionnairique [4].
Cette méthode consiste à repérer tous les articles du