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Etude lexicographique de la notion de calme du XVIe siècle à nos jours
Pour commencer cette recherche et créer une définition
la plus complète possible d’un mot, nous allons réaliser
une analyse lexicographique et sémantique du mot, en
étudiant le sens des unités linguistiques et leurs combinai-
sons. Contrairement à un travail dictionnairique, qui répond
à la rédaction d’un dictionnaire, la lexicographie est une
étude purement scientifique des mots dont la finalité n’est
aucunement commerciale [3]. Selon Bernard Quemada,
lexicographe du XX
e
siècle, la recherche lexicologique est
réalisée en amont de l’élaboration et du travail dictionnai-
rique. C’est un procédé efficace de rassemblement, de
documentation, de classement et de réflexion sur l’ensem-
ble des mots et sur leur signification.
Cette étude peut être couplée à ce qui est appelée la
première investigation dictionnairique. Cette méthode
de travail a été développée par Jean Pruvost, profes-
seur à l’université de Cergy Pontoise, à travers l’étude et
la caractérisation du mot «norme» [4]. Cette démarche
consiste à «radiographier» un corpus de dictionnaires
pour essayer d’en tirer plus d’informations que ce que le
lexicographe pensait en avoir fourni dans la simple défi-
nition du mot. La première investigation dictionnairique
consiste, plus précisément, à chercher et à comparer la
définition du mot étudié dans plusieurs dictionnaires. Une
analyse des différences de microstructure, de définition
et de choix d’exemple va être réalisée. La microstructure
du dictionnaire correspond à la structuration choisie pour
traiter l’information correspondant aux mots retenus, par
exemple l’arborescence des sens [5]. Cette étude est
souvent basée sur ce que l’on peut considérer comme
les trois dictionnaires principaux (par leurs travaux, leur
taille et leur richesse) : le dictionnaire de Furetière, celui
de Richelet et le Trésor de la langue française. La défini-
tion faite d’un mot à travers ces trois dictionnaires peut
ensuite être étoffée par d’autres dictionnaires. Dans
notre cas, la définition du mot «calme» a été recher-
chée dans onze dictionnaires différents (Figure 1), du
plus ancien, le dictionnaire de Robert Estienne en 1539
au plus récent, le Petit Larousse Illustré et le Nouveau
Petit Robert 2010.
Premières apparitions du mot calme
Le mot «calme» a été attesté en 1418 comme terme mari-
time. Il est ensuite défini en 1539, dans le premier diction-
naire de français de Robert Estienne : « Calme : La mer
calme, sans tormente, Tranquill˜u mare. Quand la mer est
calme, In malacis maris. » Le terme «malacis» en latin se
traduit comme calme plat de la mer. Durant les cent premiè-
res années de son utilisation, le mot «calme» n’est donc
utilisé qu’en référence à la mer. Il a d’ailleurs été à l’ori-
gine du verbe «calmir», utilisé uniquement en rapport à la
mer. Dans la lignée des autres dictionnaires, la première
définition du calme reste la mer calme.
Mais le calme tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est
plus considéré comme un terme maritime. La mer n’est pas
le mot que nous lui associons spontanément. Alain Rey,
lexicographe contemporain, dans le Dictionnaire Culturel
de la langue Française (2005), s’est intéressé aux dates
d’apparition des autres sens du mot «calme». Ainsi, on y
apprend que la première occurrence du mot, lié à autre
chose que la mer, est apparue en 1671 dans Le traité des
sensations, Acuité des sens de Condillac : « Bientôt le
silence de toute la nature l’invite au repos ; un calme déli-
cieux suspend ses sens ; sa paupière s’appesantit, ses
idées fuient, échappent, elle s’endort ». Quelques années
après le dictionnaire de Robert Estienne, le calme intè-
gre déjà de nouvelles dimensions. Cependant la prise en
compte de ces nouvelles caractéristiques n’est pas forcé-
ment immédiate dans le langage courant. Il existe toujours
un décalage entre l’apparition d’un mot et son utilisation
courante. Ce décalage pouvant être plus ou moins long
selon le temps d’intégration du nouveau sens.
Les trois courants dictionnairiques
Les premiers dictionnaires monolingues sont apparus au
milieu du XVII
e
siècle. Dignes successeurs du dictionnaire
de Robert Estienne, ils sont considérés comme les pères
fondateurs de la dictionnairique française : le Dictionnaire
françois de Pierre Richelet (1680), le Dictionnaire Universel
d’Antoine Furetière (1690) et la 1ère édition du Dictionnaire
de l’Académie française (1694). Chacun d’entre eux est la
base d’un courant dictionnairique.
Le dictionnaire de Pierre Richelet (1680) est un diction-
naire dit descriptif. Chacune de ses entrées est suivie
d’une définition accompagnée le plus souvent d’une cita-
tion illustrant le propos. Les dictionnaires des éditions
Robert sont, aujourd’hui, les héritiers de cette construc-
tion lexicographique.
Le dictionnaire d’Antoine Furetière (1690) est un diction-
naire qui s’adresse à l’homme curieux. Les définitions y
sont présentées de manière encyclopédique.
Contrairement aux dictionnaires dits descriptifs, les diction-
naires encyclopédiques développent une définition du mot
en la basant sur l’idée commune de la représentation. En ce
sens, les dictionnaires encyclopédiques vont plus loin que
le sens strict des mots en y ajoutant une représentation
plus figurative. Actuellement, les dictionnaires Larousse
sont réalisés sur ce modèle de construction.
Fig. 1 : Chronologie des dictionnaires de langue française : en rouge, les dictionnaires de l’Académie,
en vert, les dictionnaires descriptifs, en orange, les dictionnaires encyclopédiques
Dictionnaire de l’Académie, 1
ère
édition
1694
Dictionnaire de l’Académie, 4
ème
édition
1763
Dictionnaire français latin de Robert Estienne
1539
Dictionnaire de l’Académie, 9
ème
édition
1994
Dictionnaire de Furetière
1690
Le Petit Larousse Illustré
1906-2010
Le grand dictionnaire du XIX
e
siècle
1865
Dictionnaire d’Emile Littré
1863
Dictionnaire de Richelet
1680
Dictionnaire le Grand Robert
1985
Le Nouveau Petit Robert
1993-2010