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Le Sonar des dauphins
La réception des signaux
La structure globale du système auditif des odontocètes
est équivalente à celle de tous les mammifères, mais des
modifications importantes dans des sous-ensembles anato-
mophysiologiques sont observables chez les dauphins en
relation à une adaptation spécifique aux particularités éco-
éthologiques du groupe et à la spécialisation extrême de
la fonction acoustique.
Le pavillon auditif a disparu complètement, au profit des
propriétés hydrodynamiques du corps et les méats et canaux
auditifs sont ici obstrués ou simplement dégénérés. Une
structure osseuse, la bulle tympanique, mécaniquement
désolidarisée de son environnement anatomique par un
mucus de structure poreuse ou caverneuse, loge l’ensem-
ble des osselets et muscles associés qui constituent l’oreille
moyenne, ainsi que les composants de l’oreille interne. Ce
système mécanique de transmission des vibrations délivre
la résultante fonctionnelle à la cochlée renfermée donc dans
une cavité bien isolée des parois osseuses situées à proxi-
mité. La figure 6 nous aide, schématiquement, à visualiser
le mécanisme de la réception acoustique chez le dauphin
et les sous-ensembles anatomiques concernés.
L’analyse anatomique, des études électrophysiologiques
et des observations comportementales réalisées dans
des conditions expérimentales contrôlées convergent
dans l’idée d’une réception par la mâchoire inférieure, en
particulier au niveau d’une fenêtre de captation privilégiée
dans une zone sous maxillaire signalée dans le schéma
de figure 6. En effet, l’étude des caractéristiques histo-
logiques de l’ensemble constitué par le maxillaire et des
liaisons conduisant à l’oreille moyenne, débouche sur la
considération de propriétés acoustiques très favorables
à la conduction optimisée des signaux vers les organes
sensoriels à partir du milieu externe liquide.
Complémentairement, l’expérimentation électrophysio-
logique montre des résultats convergents, même si les
conditions d’excitation par des transducteurs divers et les
modalités d’obtention des signaux/réponses méritent des
observations critiques. N’oublions pas qu’il s’agit d’animaux
de grande taille, en milieu aquatique confiné et présentant
des contraintes importantes dans la matérialisation des
techniques électrophysiologiques, ces animaux ont une
respiration volontaire, ce qui complique énormément le
travail sous anesthésie. Les expériences comportemen-
tales ne sont pas affectées par ces difficultés opération-
nelles, mais d’autres problèmes inhérents aux conditions
de captivité, à la singularité des sujets et à la complexité
propre à toute interprétation éthologique se présentent
à l’expérimentateur. Cette approche comportementale a
été matérialisée notamment par Brill et ses collaborateurs
grâce à l’installation de différentes couvertures sur la
mâchoire inférieure d’un dauphin.[1] Ces «caches» présen-
tent des propriétés acoustiques opposées : pratiquement
transparentes dans un cas, et capables de produire une
forte atténuation acoustique dans un deuxième cas. Ainsi
équipé, le dauphin est sollicité à participer à des essais
de discrimination de cibles, toujours en comparaison avec
des résultats de discrimination correspondants aux perfor-
mances naturelles du dauphin. On observe ainsi que dans
les expériences effectuées avec le matériau acoustique-
ment transparent, les performances sont équivalentes
à celles constatées dans la situation témoin, tandis que
lorsque le dauphin reçoit la couverture à forte atténua-
tion sur sa mâchoire, les performances en discrimination
de cibles sont significativement diminuées. L’exemple de
travail bioacoustique, regroupant des techniques diver-
ses et des approches complémentaires nous rappellent
le caractère interdisciplinaire de cette matière et les parti-
cularités du travail expérimental avec des sujets vivants
présentant un degré avancé de développement psycho-
logique et habitant un milieu différent du nôtre.
Un champ d’étude toujours objet de fertiles discussions
est celui de l’interprétation fonctionnelle des capacités des
dauphins à construire des images acoustiques traduisant
des propriétés caractéristiques des objets ciblés : forme,
constitution physique, position spatiale……Déjà, comme
pas préalable, beaucoup de ces questions demandent
des réponses plus fines sur le plan de la perception des
clics large bande porteurs d’informations vitales pour l’in-
dividu et l’espèce : le processus de somation temporelle,
les seuils de détection d’intervalles, la sélectivité spatiale
ou la détection des décalages de phase.
Fig. 9a : Structure complexe d’une fraction de salve de Sotalia dans son milieu naturel
Fig. 9b : Transformation d’un signal sinusoïdal en clic et rétablissement de la structure primitive