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Le Sonar des dauphins
Cette approche a un intérêt élargi, pensant aux possibilités
de caractérisation de structures biologiques complexes et
singulières, basée sur la mise au point de techniques d’in-
terférométrie holographique à double exposition permet-
tant la visualisation d’un régime vibratoire provoqué sur
la structure en question. Dans le cas des dauphins, nous
avons excité un crâne de Sotalia teuzzi à l’aide de cérami-
ques piézoélectriques placées dans la fosse nasale droite.
La technique acousto-optique utilisée permet de faire inter-
férer en lumière cohérente le spectre de diffraction de l’os à
l’état de repos avec celui de l’os excité. L’image de franges
met en évidence des aspects représentatifs du compor-
tement acoustique des structures. La figure montrée plus
bas (7) indique l’identité fonctionnelle du prémaxillaire et
du maxillaire associée à la symétrie droit/gauche et l’ab-
sence de compression. L’hypothèse de l’origine pharyn-
géale n’a pas résisté à l’expérimentation physique, mais
le problème des sonars des dauphins a motivé le travail
sur une voie intéressante pour la caractérisation globali-
sante de certains systèmes biologiques.
Fig. 7 : L’image, obtenue par application d’une technique
d’interférométrie holographique à double exposition
sur un crâne excité par des signaux haute fréquence,
montre l’absence du phénomène de compression d’ondes
avancé par certains auteurs et l’identité structurelle du
maxillaire et du prémaxillaire. L’hypothèse de l’origine
pharingéale des signaux n’est pas confirmée par le
comportement physique des structures concernées
Le schéma de la figure 6, bien présent dans la bibliographie,
suggère une fonction de projecteur acoustique de la partie
supérieure du prémaxillaire en relation avec sa forme concave,
qualifiée souvent de «parabolique». Cette observation tout à
fait pertinente dans le cas de nombreuses espèces, notam-
ment Tursiops truncatus, est moins vérifiable chez d’autres
représentants du groupe zoologique. Les photos suivantes
(figure 8) montrent, dans les cas de Grampus et Delphinapterus
des contours des structures crâniennes de forme convexe
et un rostre très pointu, dans le cas de Pontoporia qui nous
éloignent de l’idée d’une réflexion focalisante liée aux formes
concaves d’une grande partie des odontocètes.
Les remarques antérieures, et des expériences réalisées
dans cette direction, nous conduisent à considérer la
possibilité d’une propagation des signaux au niveau de l’in-
terface formée par le prémaxillaire et le tissu mou de la
région céphalique. Il est ainsi concevable que les signaux
qui arrivent à la surface osseuse selon un certain angle d’in-
cidence soient acheminés vers le milieu extérieur grâce à
une certaine forme de propagation d’ondes de surface, en
fonction des propriétés du substrat dur et de celles des
couches tissulaires supérieures.
Nous avons déjà expliqué que les dauphins sont équipés
d’un système sonar et d’un système de communication
acoustique très développé. Plusieurs auteurs (par exemple
Norris et Dormer utilisant des techniques de ciné radio-
graphie) affirment que les mouvements du bouchon nasal
gauche sont associés avec le sifflement de communica-
tion, tandis que le bouchon nasal droit serait responsa-
ble des émissions sonar. Globalement, l’existence d’une
double source acoustique dans le système phonatoire
des dauphins est citée couramment dans la bibliographie.
Cependant, l’analyse des émissions du dauphin amazo-
nien Sotalia fluviatilis, recueillies dans sa niche écologi-
que, nous a montré que, parfois, des clics d’écholocation
s’intègrent sur des sifflements de longue durée. L’espèce
serait capable donc de procéder à une modification struc-
turelle des signaux conduisant à considérer l’unicité fonc-
tionnelle des sources sonores. Quelques éléments d’un
travail réalisé avec René-Guy Busnel, (ancien Directeur du
Laboratoire de Physiologie Acoustique et pionnier dans
cette discipline) nous permettront d’illustrer cette hypo-
thèse, en même temps que des exemples de signaux
recueillis dans le milieu naturel sont présentés comme
information complémentaire dans ce résumé.
Les figures 9a et 9b, accompagnées de quelques brefs
commentaires montrent la morphologie des clics d’écho-
location, l’existence de signaux de structure plus complexe
(double-clics selon la dénomination de Norris) et des signaux
de communication de type sifflements. Le nombre important
de signaux obtenus dans cette mission de la Calypso informe
sur la variabilité dans «les cadences de répétition des clics»
ou plus précisément sur les intervalles entre clics, très proba-
blement en relation avec «les intentions» des individus obser-
vés ou les besoins éco éthologiques de l’occasion. [4]
Les deux types d’émission (sifflements et clics) de ce
dauphin présentent entre eux un glissement structurel
qui donne un passage continu d’un clic à un sifflement et
réciproquement. Ceci nous amène à concevoir qu’il est
possible qu’il n’y ait qu’une seule source acoustique chez
ce dauphin, par synchronisation de ses organes phona-
teurs. L’animal pourrait donc effectuer les réglages physio-
logiques nécessaires à la transformation physique des
deux types de signaux dans une adaptation fonctionnelle
en continu dans le cadre de son biotope.
Fig. 8 : Les caractéristiques géométriques du crâne de Tursiops (haut gauche) suggèrent une focalisation des émissions
acoustiques. En revanche, la géométrie des crânes de Grampus, Delphinapterus et Pontoporia est peu favorable à une
focalisation des émissions sonar. L’idée d’une voie complémentaire, à l’interface os/tissus mous est donc avancée.