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Le Sonar des dauphins
Nous avons déjà signalé que le système sonar biologique
était doté d’une souplesse adaptative remarquable, visi-
ble dans les transformations morphologiques, fréquentiel-
les et en terme de cadence (répétition temporelle) des
émissions qui suivent les besoins vitaux de l’individu et
les caractéristiques et contraintes de l’environnement.
Withlow Au signale ainsi dans des conditions d’enregistre-
ment en mer des secteurs d’énergie maximum dans des
plages de 120 et 140 kHz avec des niveau de l’ordre de
220 dB re 1 µPa. Ces deux glissements fréquentiels et en
niveau (+50 dB) par rapport à des exemples d’enregistre-
ment en bassin, peuvent être attribués à la présence d’un
niveau élevé de bruit de fond dans l’environnement natu-
rel associé à l’absence de réverbération, qui autorise des
niveaux d’émission importants (favorables à la détection),
sans l’action perturbatrice d’un espace confiné.
Lors des expériences d’identification de formes citées
plus haut, les signaux sonar ont été enregistrés dans les
différentes phases d’approche et d’accomplissement de
la tache demandée au dauphin (rapporter l’objet en ques-
tion) à l’aide d’une base d’hydrophones installée derrière
les cibles. L’étude de ces signaux permet la visualisa-
tion d’une transformation adaptative des signaux suivant
la situation dauphin/cible/environnement. Un Tursiops,
sujet d’une de nos expérimentations en bassin (Dziedzic
& Alcuri) [2] a été ainsi capable d’adapter les caractéris-
tiques des émissions sonar aux situations eco-éthologi-
ques du moment, fonction de son intérêt, des caractéris-
tiques du milieu, du type de cible et de l’environnement
acoustique. Les représentations temporelles et la densité
spectrale des signaux sonar dans les deux phases d’appro-
che discriminatoire, par exemple entre une forme penta-
gonale et annulaire, montrent que les signaux émis à une
distance animal – cible < 4 m et à une distance animal
– cible > 4 m évoluent morphologiquement et en termes
de définition spectrale durant le processus de reconnais-
sance acoustique des formes. Globalement, le traitement
du signal met en évidence deux phases dans l’émission
sonar. Dans la première, les signaux sont de large bande,
dans la seconde, les caractéristiques spectrales se modi-
fient en fonction de la forme des objets examinés.
La masse d’information disponible sur les signaux enregis-
trés dans des circonstances différentes autorise la formu-
lation d’approches théoriques qui trouvent des fondements
solides dans les connaissances sur les propriétés des
signaux acoustiques dans un contexte de discrimination
de cibles et de navigation. Particulièrement Kamminga
et Beisma ont tenté une expression mathématique basée
sur une fonction de Gabor capable d’approcher un signal
d’écholocation type des dauphins, aboutissant à la construc-
tion d’un signal synthétique très proche des constatations
pratiques réalisées sur le «terrain».
Sans inclure une discussion approfondie de cette approche
conceptuelle, cette approximation théorique est évoquée
pour illustrer une orientation de modélisation de la fonc-
tion sonar biologique qui a donné des résultats intéres-
sant tant au niveau de la compréhension des signaux
résultants que de l’anatomophysiologie de l’émission et
de la réception.
Les signaux sonar sont émis par salves. Le dauphin, béné-
ficiant des acquis d’une longue évolution et des capacités
comportementales exceptionnelles dans le règne animal,
module l’espacement entre clics d’écholocation en fonc-
tion de la situation environnementale, de la distance à la
cible, du type de cible et même de sa propre estimation
prévisionnelle de l’évolution de ces paramètres. En effet,
l’optimisation des résultats de détection, d’identification
et de classification est superposée aux caractéristiques
propres au type de traitement effectué par son système
sensoriel fonctionnant en mode impulsionnel. Dans ces
conditions, l’espacement temporel entre clics émis par
l’animal doit être réglé en fonction de l’arrivée de l’écho
porteur de l’information. Cet instant d’arrivée de l’écho aux
organes de réception du dauphin émetteur est lié au temps
de parcours allée/retour du signal, donc de la distance
émetteur/cible ; sachant que l’un et l’autre sont mobiles. La
complexité du processus est mise en évidence, aussi, par
la considération de facteurs biologiques, comme l’intérêt
variable que le dauphin peut attribuer à l’information reçue
des objets qui font partie de son environnement : proies,
prédateurs, obstacles, congénères, qui sont porteurs
d’une valeur dépendante des circonstances et de la situa-
tion psychophysiologique de l’individu animal.
Ces signaux sont capables d’apporter aux organes d’ana-
lyse du dauphin des informations d’une qualité exception-
nelle. Des expériences classiques réalisées sur différen-
tes espèces de delphinidés (temporairement aveuglés)
nous donnent des exemples faciles à retenir pour appré-
cier les performances des systèmes d’écholocation dans
l’eau, les données ont été obtenues dans des conditions
statistiquement significatives :
- Détection d’un fil métallique de 0,2 mm de diamètre.
- Différenciation de deux pièces métalliques de forme
identique avec des épaisseurs de 2,2 mm et 2,7 mm
respectivement.
- Différenciation de deux disques métalliques de dimen-
sions identiques mais de nature différente.
- Reconnaissance d’une espèce de poisson (préférée à une
autre) à partir d’un morceau de l’animal proie.
Toutes ces étonnantes performances nous conduisent à
réfléchir à propos des dauphins pris dans des filets de
pêcheurs, dans des cas d’apparent dysfonctionnement
de système d’écholocation. Lors d’une mission d’étude du
dauphin de la Plata, habitant dans un estuaire communicant
avec l’Océan Atlantique, nous avons constaté une mortalité
importante (des dizaines d’individus dans un mois d’inter-
valle) de Pontoporia blanvillei pris dans les filets des pêcheurs
locaux. Lors des explorations en mer, peu de signaux ont
été recueillis provenant de dauphins… presque muets.
En revanche, une grande activité acoustique a été obser-
vée provenant d’une espèce de poisson en pleine activité
nuptiale. Le grand nombre de dauphins morts nous a permis
d’effectuer des prélèvements de contenu stomacal signifi-
catifs, pour trouver presque exclusivement des restes du
même poisson responsable d’une activité acoustique impor-
tante. Avec ces données, abondantes, nous déduisons que
les dauphins ont chassé, dans cette période, seulement
en configuration de sonar passif, désactivant la fonction
émission dans un probable souci d’optimisation énergé-
tique…..qui a coûté la vie à un grand nombre d’individus.
Dans notre cas, les premiers signaux sonar de Pontoporia
enregistrés peuvent servir à nourrir une réflexion approfon-
die sur le coût énergétique de la fonction sonar, utilisé donc
de la meilleure manière possible, exclusivement quand le
dauphin l’estime nécessaire.