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La communication acoustique dans les relations mère-jeune chez les mammifères grégaires
De plus, nous avons montré que le contexte et la motivation
du récepteur sont des paramètres très importants à pren-
dre en compte dans les tests de playback et les études de
la reconnaissance acoustique mère-jeune [7].
Cas des pinnipèdes :
Pendant toute la période d’allaite-
ment, les mères s’absentent fréquemment pour des pério-
des qui peuvent s’étendre à 3 semaines pendant l’hiver.
Il en résulte que le petit est soumis à de fréquentes et longue
période de jeun en alternance avec des périodes de tétée
relativement courtes (4-5 jours). Ceci explique pourquoi il
n’est pas rare de voir des jeunes répondre à des femelles
rentrant de mer et appelant leur petit, mais aussi tenter de
voler du lait à des femelles qui ne sont pas leur mère. Ces
tentatives de « vol » sont très rarement fructueuses. Afin
d’étudier le comportement vocal du jeune durant l’absence
de sa mère, nous avons testé les jeunes via des expérien-
ces de repasse, avec des cris de femelles étrangères et
des cris de leur propre mère à différentes périodes de l’ab-
sence maternelle. Une analyse quantitative (réponse ou pas
aux cris) et qualitative (réponse spécifique ou non spécifi-
que aux cris de la mère) a été effectuée afin de décrire le
comportement vocal du jeune et ses motivations.
Fig. 4 : Evolution de la réponse vocale du jeune otarie au cours
de l’absence maternelle. Trois périodes ont été identifiées :
une période réfractaire (1-5 jours) où les jeunes répondent
peu mais spécifiquement à leur mère; une période
optimale (6-10 jours) où les petits répondent fortement et
très spécifiquement aux cris de leur mère ; et une période
opportuniste (11-15 jours) où les réponses restent fortes
avec de nombreuses réponses à des femelles étrangères.
Trois périodes «comportementales» ont été mises en
évidence pendant l’absence de la mère (figure 4). Durant
les 5 premiers jours, les petits répondent relativement
peu mais spécifiquement aux cris de la mère. Du 5ème au
10ème jour, les réponses sont fortes et toujours spécifiques
aux cris de la mère. Enfin, passé 11 jours d’absence de la
mère, les réponses restent très élevées, mais on observe
une forte augmentation des réponses aux cris des femelles
étrangères, la réponse n’est plus spécifique à la mère. Ces
fortes fluctuations de réponse s’expliquent par des chan-
gements de motivation, de l’état de satiété du jeune, et
sont donc fortement liés à la balance énergétique interne.
L’augmentation de réponse non spécifique ne sont en aucun
cas des erreurs de reconnaissance, mais un tentative de
tromperie des femelles afin d’être nourri. A travers ces
expériences, nous avons non seulement mise en évidence
la présence d’une dynamique dans le comportement vocal
du jeune, mais déterminer une période optimale pour faire
nos tests de repasses, soit 5-10 jours après le départ de
la femelle, période « optimale » pendant laquelle les répon-
ses du jeune sont fortes et spécifiques à la mère.
Conclusion
Ces études sur la reconnaissance vocale chez deux mammi-
fères phylogénétiquement très éloignés (un herbivore et un
carnivore) montrent que les deux espèces ont un système
de reconnaissance vocale individuelle très similaire, parti-
culièrement efficace répondant parfaitement aux diffé-
rentes contraintes écologiques et environnementales.
En effet, chacune des espèces présente 1) une mise en
place rapide de la reconnaissance de la mère par son jeune,
2) une redondance de l’information « individuelle » pour limi-
ter les risques de confusion à la fois au niveau du codage
(de nombreux paramètres sont individualisés) et du déco-
dage de l’identité individuelle (signature individuelle multipa-
ramétrique), 3) une utilisation de paramètres acoustiques
résistant aux dégradations lors de la propagation et assu-
rant une reconnaissance fiable à longues distances, 4) une
adaptation du comportement vocal du jeune en fonction de
sa motivation et de son état de satiété.
Si la reconnaissance vocale entre la mère et son jeune
est essentielle, il ne faut pas négliger les autres modalités
sensorielles. En particulier, l’importance de l’olfaction dans
les relations et les soins maternelles, mais aussi dans les
vérifications lors des retrouvailles mère-jeune. Il semble
que ce soit la mère qui soit dans les deux cas moteur de
cette reconnaissance. Chez le mouton, il a été démontré
que les brebis sont capables de reconnaître leur petit quel-
ques heures après la mise bas. De multiples observations
sur les Otaridés indiquent aussi l’importance de l’olfaction
dans l’acceptance du jeune par la mère. Il reste à démon-
trer expérimentalement cette reconnaissance. Quant aux
signaux visuels, ils faciliteraient la recherche et la locali-
sation du couple mère-jeune dans le groupe, mais ils ne
permettent pas une identification fiable.
L’étude des systèmes de reconnaissance individuelle de
différentes espèces de mammifères permet de détermi-
ner l’influence des systèmes de reproduction, de la struc-
ture sociale et des contraintes environnementales sur leur
système de reconnaissance individuelle. La comparaison
de ces travaux à ceux réalisés sur les oiseaux coloniaux
notamment (Manchots en particulier, et Laridés) vont
nous permettre de conclure quant à l’existence d’une
convergence des systèmes de communications chez les
Vertébrés, convergence liée aux contraintes environne-
mentales plus qu’à la phylogénie.
Références bibliographiques
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