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La communication acoustique dans les relations mère-jeune chez les mammifères grégaires
Les tests de double choix nous ont permis de montrer
que les agneaux sont capables de reconnaître vocale-
ment leur mère dès 48h après la naissance. Des études
complémentaires ont montré que la brebis était elle aussi
capable de reconnaître les vocalisations de son jeune
dès 24 heures.
Cette étude montre qu’au sein de la relation mère-jeune,
tout un système de communications réciproques et de
reconnaissance vocale entre la mère et son jeune va
se mettre en place très rapidement après la naissance
[5]. Cette évolution répond probablement à la néces-
sité d’une communication à longue distance liée à l’aug-
mentation rapide de la mobilité et de l’autonomie du
jeune et des distances entre la mère et son agneau qui
en résultent.
Chez l’otarie à fourrure subantarctique, le jeune se trouve
confronté à des absences longues et répétées de sa
mère tout au long de la lactation. Afin qu’ils se retrouvent
rapidement dans la colonie au retour de la mère, il est
donc indispensable que la reconnaissance entre la mère
et son jeune soit effective avant le premier départ de la
mère. Il était important de répondre à deux questions :
1) A partir de quel âge le jeune est-il capable de discrimi-
ner la voix de sa mère des autres femelles de la colonie ?
2) Cette mise en place de la reconnaissance de la mère
par le jeune s’effectue-t-elle avant son premier départ
pour l’océan ?
Afin de répondre à ces 2 questions, nous avons testé
les jeunes dans des expériences de repasse. En effet,
nous avons quotidiennement testé ces jeunes, de l’âge
d’un jour jusqu’à 10 jours, avec des cris de leur mère et
des cris provenant de femelles inconnues. Afin de déter-
miner la date du premier départ en mer post-partum de
chaque femelle, nous avons noté la présence de chacune
des mères des jeunes testés.
Dès leur naissance, les jeunes otaries à fourrure produi-
sent des cris et répondent fortement à tout cri de femelle.
Lors de nos tests de repasse, nous avons pu mettre en
évidence que les jeunes ne répondent spécifiquement
qu’aux cris de leur mère que 2 à 5 jours après la nais-
sance. Concernant le départ des mères, celles-ci ne sont
parties que 2 à 10 jours après la naissance, et surtout
toujours après que leur petit ait pu les reconnaître voca-
lement [6]. Il semblerait donc que ces deux phénomènes
soient fortement associés : les femelles attendent que
l’apprentissage de leur voix soit effectif chez leur jeune
avant de partir en mer. La reconnaissance de la mère par
le jeune se met en place très rapidement, et est très effi-
cace puisque lors du retour du premier voyage alimen-
taire de leur mère, la majorité des jeunes otaries retrou-
vent leur mère en moins de 7 minutes.
Signature Vocale individuelle décryptée
par le jeune
Cas des ovins :
Comme nous l’avons vu, l’établissement
rapide d’une reconnaissance entre la brebis et son jeune
est essentiel pour la survie et le développement harmo-
nieux de celui-ci. Il existe donc une reconnaissance indivi-
duelle reposant sur les caractéristiques acoustiques des
bêlements. Il restait à découvrir les paramètres acousti-
ques composant cette signature individuelle.
Fig. 2 : Cris d’appel de brebis (haut) et d’otarie (bas) utilisé
dans les relations mère-jeune. Spectrogramme,
représentation graphique d’un son. La fréquence
est indiquée en ordonnée, le temps en abscisse
et les couleurs indiquent l’amplitude (couleurs
chaudes représentent de fortes amplitudes).
Notre objectif était d’identifier le système de codage et
de décodage de l’identité dans les bêlements de la brebis
(figure 2). La recherche de la signature vocale s’effectue en
deux étapes. La première consiste à déterminer la variabi-
lité des bêlements entre les individus et leur stabilité pour
un même sujet. Pour cela, nous avons analysé plusieurs
vocalisations de brebis. La deuxième étape consiste à tester
les paramètres afin de vérifier s’ils sont effectivement utili-
sés par l’animal. Pour cela nous avons diffusé aux agneaux
des vocalisations de leurs mères dont l’un des paramètres
acoustiques est modifié ou supprimé. L’analyse acoustique
montre que les bêlements des brebis comportent plusieurs
paramètres individualisés comme la fréquence fondamen-
tale, la modulation d’amplitude et les paramètres liés au
contenu spectral (timbre). Quant aux tests de play-back,
ils démontrent que 75% du spectre est indispensable à
la reconnaissance individuelle et qu’une modification des
modulations d’amplitude, une augmentation en fréquence
de 50% de l’ensemble du spectre induit une perturbation
significative du processus de reconnaissance. Par contre,
dans le domaine temporel, la première moitié du signal
contient toute l’information nécessaire pour la reconnais-
sance et suffit à l’identification de la voix du jeune.
Les analyses de la structure acoustique des bêlements
et les expériences de play-back avec des leurres ont
permis de montrer que l’identification vocale était basée
sur une signature individuelle complexe et multiparamétri-
que (fréquence fondamentale, modulation d’amplitude, et
timbre) permettant à l’agneau d’identifier et de localiser sa
mère dans le troupeau de façon relativement fiable. Certes
les capacités de codage de l’individualité et la fiabilité des
paramètres codant vis-à-vis des problèmes de propaga-
tion sont moins importantes que chez d’autres espèces
sociales ou coloniales comme les manchots ou les otaries,