28
La communication acoustique dans les relations mère-jeune chez les mammifères grégaires
Mais aucune étude précise de la mise en place de la
communication et de la reconnaissance vocale n’était
disponible actuellement.
Nos objectifs ont été de comprendre quels types d’infor-
mations (individuelle, et/ou de motivation) sont transmis
dans les réseaux de communication mère-jeune. Comment
ce transfert d’informations se met-il en place ? A partir de
quel moment est-il efficace ? Dans quel contexte ces infor-
mations sont-elles utilisées ? Pour répondre à ces ques-
tions, nous avons étudié la reconnaissance de la mère
par le jeune chez une espèce domestique, le mouton et
une espèce sauvage, l’otarie à fourrure subantarctique.
Notre approche est expérimentale, établie sur un champ
de recherche étendu, allant de l’éthologie au traitement
de signal. Les résultats obtenus ont apporté des infor-
mations précieuses pour la compréhension des commu-
nications acoustiques chez les mammifères. Cette étude
a permis ainsi d’aborder plus globalement les différents
aspects évolutifs et le développement de la communica-
tion acoustique dans le monde animal et particulièrement
chez les mammifères. Les résultats vont permettre par la
suite de prendre en compte les interactions entre les diffé-
rentes modalités sensorielles dans la reconnaissance inte-
rindividuelle et d’aborder l’étude multimodale de la repré-
sentation cognitive du congénère social.
Le choix des modèles : le mouton et l’otarie
à fourrure subantarctique
Par rapport à d’autres espèces de mammifères, les
ovins sont des animaux qui vocalisent régulièrement
et on retrouve des signaux de communication dans
de nombreux comportements chez ces animaux. La
communication vocale chez le mouton est essentiel -
lement associée à la relation mère- jeune et la recon-
naissance mutuelle des deux membres de la dyade.
L’existence d’un tel lien entre la mère et sa progéniture
chez les ovins, la présence de vocalisations ainsi que la
facilité à élever et à tester ces animaux en font un bon
modèle pour étudier la fonction de la communication
vocale dans la reconnaissance individuelle et la struc-
turation de cette relation exclusive.
Dans la famille des pinnipèdes, les Otaridés (lion de mer
et otarie à fourrure) se regroupent à terre et forment
de vastes colonies de plusieurs milliers d’individus.
Chaque année, chaque femelle donne naissance à un
jeune qu’elle va allaiter pendant plusieurs mois (4 à 18
en fonction des espèces ; [4]). Les femelles nourris-
sent exclusivement leur jeune, les nourrissages extra
maternels sont très rares voire inexistants, ces derniè-
res pouvant être très agressives envers tout petit étran-
ger tentant de s’approcher. Il est donc indispensable
que le petit apprenne rapidement à reconnaître la voix
de sa mère afin de pouvoir l’identifier à son retour de
l’océan. Les signaux acoustiques, efficaces à courtes
et longues distances, sont un facteur-clé pour l’identi -
fication mère- jeune en milieu colonial. Quelle que soit
l’espèce, la signature vocale utilisée dans ces proces-
sus de reconnaissance individuelle doit faire face à
deux contraintes majeures. Elle doit être très stéréo-
typée afin d’éviter tout risque de confusion entre indi -
vidus, mais particulièrement adaptée au milieu bruyant
de la colonie afin de permettre un transfert efficace de
l’information à travers un canal bruité.
Ontogenèse de la reconnaissance vocale
de la mère par le jeune
Chez les petits ruminants domestiques (ovins et caprins),
la mère et le jeune développent très rapidement après
la naissance une relation exclusive qui s’appuie sur une
reconnaissance mutuelle. De nombreuses études ont mis
en évidence le rôle essentiel de l’olfaction maternelle dans
la formation rapide (moins d’une heure) de cette relation
exclusive. Pendant longtemps, il a été considéré que la
reconnaissance des caractéristiques visuelles et acous-
tiques de la dyade mère-jeune (reconnaissance dite à
distance) demandait plusieurs jours, voire plusieurs semai-
nes, pour se mettre en place.
Afin de déterminer la date de mise en place de la recon-
naissance acoustique de la mère par le jeune, nous avons
réalisé des tests de double choix (figure 1a) dans lesquels
les brebis stimuli sont cachées derrière une bâche et à
plus d’un mètre de distance du parc de test afin que les
agneaux testés ne perçoivent pas d’informations visuel-
les et olfactives. Des groupes indépendants d’agneaux
(n = 15 à 20 sujets/groupe) ont été étudiés à 12h, 24h,
et 48h après leur naissance.
Fig. 1 : Tests expérimentaux sur l’ontogenèse de la
reconnaissance de la voix de la mère par le jeune.
(a) Photo du parc de test choix chez l’agneau (haut)
dans la condition « accès aux indices acoustiques
uniquement » : l’animal est dans la zone de proximité
de la brebis de droite, cachée derrière une bâche en
toile et séparée de 1 mètre du parc de test. La brebis
étrangère se trouve ici sur la gauche. La localisation
des deux brebis est inversée à chaque test.
(b) Photo de l’enclos expérimental où le jeune a été
isolée de sa mère pour 30 minutes afin d’être
testé dans des expériences de play-back. Le
jeune est testé en diffusant des cris de sa propre
mère et des cris de femelles étrangères.