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«Good vibrations» chez les insectes et autres arthropodes
Nakano et al. (J. Exp. Biol., 2009 : 212, pp 4072-4078)
Les biologistes savent depuis de nombreuses années
que la perception, mais aussi la production, d’ultrasons
jouent un rôle important dans les stratégies de défense
des papillons de nuit contre les chauve-souris insectivo-
res. Certaines espèces sont aussi connues pour utiliser le
domaine des ultrasons lors de la rencontre des mâles et
des femelles. Grâce à une étude menée par une collabo-
ration entre chercheurs japonais et danois, on sait main-
tenant que cette communication par haute fréquence est
beaucoup plus fréquente que supposée. Nakano et al.
rapportent en effet pour la première fois que les mâles
de plusieurs espèces de papillons de nuit de la famille
des Crambidae émettent des signaux sexuels ultrasono-
res avec une intensité extrêmement faible. Ces «chucho-
tements» pourraient permettre aux papillons d’entrete-
nir une conversation secrète sans être détectés par des
rivaux ou des prédateurs. Ce comportement est si discret
qu’il avait échappé à de nombreux observateurs alors qu’il
pourrait se révéler relativement commun.
Limousin et al. (J. Exp. Biol., 2009, 212 : pp 4091-4100)
A l’opposé, les signaux ultrasonores d’une autre espèce
de papillon de nuit, appartenant à la famille des Pyralidae,
ont été étudiés depuis longtemps. Le chant des mâles
adressé aux femelles est produit cette fois à forte inten-
sité. Limousin et al. de l’Université de Tours ont cherché à
comprendre comment les femelles choisissent un mâle sur
des critères de variation de l’amplitude du chant. A éner-
gie acoustique équivalente, le critère de sélection repose
sur la préférence pour des «notes fortissimo» où l’ampli-
tude maximale est atteinte très rapidement. Cette capa-
cité à suivre les modulations d’amplitude est d’autant plus
remarquable que le tympan de ces insectes n’est innervé
que par quatre neurones.
Windmill et al. (J. Exp. Biol., 2009, 212 : pp 4079-4083)
Les femelles de cigales possèdent quant à elles plusieurs
centaines de neurones nichés dans leur système auditif.
La raison de cette riche innervation, comparable à celle
de grenouilles ou d’autres vertébrés, n’est pas encore
connue. L’équipe franco-britannique de Windmill et al. a
cependant décrit le mécanisme de transduction sonore,
convertissant l’énergie sonore aérienne en énergie mécani-
que qui stimule ces neurones. Utilisant des techniques de
vibrométrie laser à effet Doppler, ils expliquent comment
le son fait vibrer le tympan des femelles selon des ondes
non-stationnaires puis comment la membrane tympanique
transmet ces vibrations à un petit apodème de cuticule.
Cet apodème amortit et convertit les vibrations du tympan.
Les vibrations deviennent stationnaires et leur amplitude
passe d’une échelle nanométrique et à une échelle pico-
métrique. L’apodème fonctionne comme un filtre bande-
passe, sélectionnant les fréquences les plus intenses du
chant des mâles et permettant ainsi probablement une
discrimination auditive contre des bruits parasites ou des
chants d’autres espèces.
Barbero et al. (J. Exp. Biol., 2009, 212 : pp 4084-4090)
Les arthropodes, et les insectes en particulier, ne produi-
sent pas des vibrations sonores ou élastiques uniquement
dans un cadre de sélection sexuelle mais peuvent aussi
les utiliser dans des cas de recherche d’un hôte (parasi-
tisme) ou de recherche d’une proie (prédation).
(
a
)
(
b
)
(
c
)
Fig. 1 : Quelques modèles utilisés en bioacoustique des
arthropodes: (a) la cigale commune du sud de
la France (Cicada orni) qui possède un appareil
auditif richement innervé, (b) une pyrale (Achroia
grisella), papillon de nuit qui utilise les ultrasons
pour communiquer, (c) le grillon sylvestre (Nemobius
sylvestris) qui communique par stridulation et qui
détecte les mouvements d’air dus aux mouvements
de son prédateur l’araignée-loup (Pardosa sp.).
L’équipe de Barbero d’Italie et du Royaume-Uni ont enre-
gistré et analysé les émissions sonores ou stridulations
des chenilles de papillons de la famille des Lycaenidae et
celles des fourmis chez qui elles s’immiscent pour se nour-
rir à leur dépend. Les larves s’introduisent chez les fourmis
grâce à un mimétisme chimique - une sorte de déguisement
moléculaire - mais elles imitent également les stridulations
émises par la reine de la colonie des fourmis. Cette trom-
perie acoustique permet aux papillons d’obtenir un statut
hiérarchique élevé dans la société qu’ils parasitent et, de
fait, de se faire accepter encore plus facilement.
Ces quatre exemples issus du dernier ISV illustrent la diver-
sité des modèles et des approches développés pour l’étude
du comportement sonore des arthropodes. Combinant des
techniques de biologie et de mécanique, la bioacoustique
des insectes, crustacés et araignées a encore un champ
de recherche immense à couvrir. La prochaine session du
congrès, qui se tiendra aux USA en 2011, devrait révéler
de nouvelles découvertes étonnantes.