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Chants et préférences sexuelles chez les oiseaux
Nagle et Kreutzer [15] ont montré que lorsque des chants
particuliers sont diffusés à des femelles au stade juvénile,
celles-ci produisent plus de réponses sexuelles à l’écoute
de ces chants une fois adulte, à condition qu’il s’agisse de
chants de leur espèce. Ainsi, il semble que la mise en place
des préférences résulte de prédispositions génétiques qui
peuvent être renforcées ou contrebalancées par des appren-
tissages. Il n’est donc pas étonnant de s’apercevoir de l’exis-
tence de variations inter-individuelles dans les préférences
sexuelles des femelles adultes d’oiseaux chanteurs.
Les variations dans le choix du partenaire
sexuel
Au moment de la reproduction et du choix du partenaire,
les femelles peuvent montrer des variations au niveau de
l’expression de leurs préférences. Ainsi, des études ont
relevé des liens entre la condition des femelles et l’inten-
sité de leurs préférences. Dans les modèles typiques de
choix du partenaire [17], les chercheurs considèrent que
la sélectivité des femelles peut être coûteuse (la femelle
peut parcourir de longues distances pour visiter diffé-
rents territoires, ce qui représente à la fois une dépense
énergétique et une exposition accrue aux prédateurs). En
conséquence, les femelles en moins bonne condition ont
intérêt à limiter ces coûts et à s’apparier sans échantillon-
ner un grand nombre de mâles. La sélection de leur parte-
naire est donc moins rigoureuse que pour des femelles
en meilleure condition [18]. Au sein de notre laboratoire,
nous avons mis en place un protocole visant à tester si
la condition des femelles peut influencer l’expression des
préférences acoustiques. Deux semaines avant le début
des tests, nous avons commencé à nourrir deux grou-
pes de femelles avec des régimes alimentaires très diffé-
rents. Alors que le premier groupe s’est vu proposer de
la nourriture variée (graines, fruits, légumes, vitamines),
le second a eu un régime alimentaire de base, composé
uniquement de graines. Nous avons ainsi créé artificielle-
ment un premier groupe de femelles en très bonne condi-
tion et un second en condition normale.
Pendant les trente jours qui ont suivi cette première
période, nous avons diffusé aux deux groupes deux chants
de mâles de canaris, de qualités différentes. Un premier
chant contenait une phrase «sexy» alors que pour le second,
cette phrase «sexy» avait été remplacée par une phrase
quelconque, sans valeur attractive. Nous avons ensuite
comparé les proportions de postures de sollicitation à l’ac-
couplement prises par les femelles, pour déterminer leurs
préférences. Les résultats ont permis de montrer que le
groupe de femelles en très bonne condition marque des
préférences très nettes pour le chant sexy, les femelles
en condition normale montrent moins de distinction entre
les deux chants proposés.
Cette expérience nous permet de montrer que non seule-
ment les femelles peuvent évaluer leur propre condition
physique, mais aussi qu’elles ont la capacité d’ajuster
leurs réponses en fonction de celle-ci. D’un point de vue
évolutif, cette information permet de mieux comprendre
comment, au cours de la période de reproduction, les
meilleures femelles peuvent s’accoupler avec les meilleurs
mâles chanteurs. Ainsi, par le biais de l’hérédité, un proces-
sus de ce type peut conduire à isoler les meilleurs indi-
vidus et participer activement à la sélection naturelle.
La variété et la complexité du chant des oiseaux ne seraient
donc pas dues au hasard mais seraient, au contraire,
le fruit des interactions entre des processus évolutifs
complexes. Peu à peu, les pressions évolutives, exer-
cées en partie par les femelles, ont modifié la morpholo-
gie, l’anatomie et la physiologie des oiseaux chanteurs.
Elles ont, par la même occasion, modifié en profondeur
l’ensemble de notre environnement acoustique, puisque,
aussi bien en ville qu’à la campagne, rares sont les lieux
qui ne soient pas, au moins temporairement, égayés par
le chant d’un rouge-gorge ou d’un rossignol.
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