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Chants et préférences sexuelles chez les oiseaux
peut indiquer, en contrepartie, que celui-ci est habile pour
prendre la fuite ou se défendre face à des prédateurs.
Un mâle de la même espèce le considèrera comme un
rival potentiellement concurrentiel, tandis qu’une femelle
sera attirée par ce mâle fortement ornementé (relié à un
bon patrimoine génétique). Le chant des oiseaux peut
répondre à cette définition du CSS. En effet, le chant est
essentiellement produit par les mâles (sous nos latitu-
des). A ce titre, il peut donc être utilisé à la fois pour les
compétitions entre les individus du même sexe et pour
l’attraction des femelles, ce qui constitue les deux fonc-
tions principales que les éthologues attribuent générale-
ment aux chants des oiseaux.
La mise en place des territoires défendus
par les mâles d’oiseaux chanteurs
Au cours de l’évolution, les chants se sont peu à peu subs-
titués aux confrontations physiques [4]. Cela explique que,
chez les espèces vivant dans les zones tempérées, avec
une saisonnalité marquée, un pic de production de chant
a lieu à la fin de l’hiver et au début du printemps, lors
de l’établissement des territoires. Le chant a donc pour
première fonction la délimitation de ceux-ci. Ainsi, très
tôt, les études de Krebs [5] ont démontré que des terri-
toires occupés par des mâles de mésange charbonnière
(Parus major) mais remplacés par des haut-parleurs diffu-
sant des chants, sont moins vite recolonisés par d’autres
oiseaux que des territoires de mâles sur lesquels des
haut-parleurs diffusent d’autres types de sons. D’autres
expériences ont pu montrer le lien entre la production de
chant et la défense du territoire. Par exemple, il est possi-
ble, grâce à une intervention chirurgicale peu invasive, de
rendre les oiseaux muets pendant quelques jours. Chez les
carouges à épaulette (Agelaius phoeniceus), les territoi-
res des mâles ayant subi une telle intervention sont plus
fréquemment visités par des intrus que ceux des mâles
du groupe contrôle [6].
L’attraction du partenaire
L’autre grande fonction du chant des mâles est l’attrac-
tion des femelles. Les premiers éléments empiriques de
cette prédiction proviennent de l’étude d’Eriksson & Wallin
[7] sur les gobe-mouches noirs (Ficedula hypoleuca). Des
couples d’oiseaux ont été retirés de leur territoire d’ori-
gine. Ensuite, la femelle a été relâchée, sans le mâle.
Des nichoirs, garnis de haut-parleurs avaient été instal-
lés entre-temps sur le territoire. L’étude montre que les
nichoirs proches des haut-parleurs étaient davantage visi-
tés lorsqu’ils diffusaient des chants de mâles que d’autres
types de sons. Le lien entre le chant et la recherche du
partenaire a également pu être démontré chez la même
espèce par la diffusion de chants de rivaux dans le terri-
toire du mâle. La femelle répond au chant du compé-
titeur en s’approchant des haut-parleurs. Néanmoins,
cette réponse n’a été observée que pendant la période
de fertilité de la femelle. Toute diffusion en dehors de cet
intervalle de temps ne génère aucune réponse compor-
tementale. Les observations de terrain confirment cette
fonction. Chez les rossignols (Luscinia megarhyncos), non
seulement les mâles non appariés chantent plus que les
mâles en couple (pour augmenter leurs chances de trou-
ver une partenaire), mais en plus, la production de chants
par les mâles est maximale pendant la période de ferti-
lité des femelles [8].
Les caractéristiques des chants d’oiseaux
L’individualité des chants
D’autres études sur le chant des mâles se sont intéres-
sées plus particulièrement à la structure des chants.
Il est aisé de remarquer que les chants sont très diffé-
rents d’une espèce à l’autre. Néanmoins, les ornitholo-
gues se sont aperçus qu’au sein d’une même espèce, la
structure des chants peut se décliner en dialectes, les
oiseaux ayant des chants différents en fonction de leur
région d’origine. Ainsi, une espèce couvrant une vaste
zone de répartition peut avoir plusieurs types de chants.
Pourquoi, dans la majorité des cas, le chant
est-il l’apanage des mâles sous nos latitudes ?
Chez la plupart des espèces animales, les mâles sont
plus ornementés que les femelles. La cause de cette
différence entre les mâles et les femelles provient d’un
investissement différencié dans la production de gamètes.
Chez tous les vertébrés supérieurs, les gamètes mâles
(spermatozoïdes) sont de petites cellules, souvent flagel-
lées, mais avec peu de réserve énergétique. En revan-
che, les gamètes femelles (ovocytes) sont de grande
taille, immobiles et possèdent beaucoup de réserves
énergétiques [19]. De plus, la production de spermato-
zoïdes est constante alors que la production d’ovules
est cyclique. Il en résulte une production de sperma-
tozoïdes beaucoup plus élevée que celle d’ovocytes.
Enfin, la femelle est souvent impliquée dans la gesta-
tion ou l’incubation des œufs. Le nombre potentiel de
descendants d’une femelle est égal au nombre d’œufs
qu’elle a pu produire. En revanche, le nombre poten-
tiel de descendants d’un mâle est égal au nombre de
descendants provenant de l’ensemble de ses partenaires
sexuels. Pour augmenter ce nombre, il doit augmenter
le nombre de ses partenaires tandis que la femelle doit
au contraire limiter son choix aux mâles qui assureront
à ses descendants le meilleur phénotype. Il en résulte
une généralité (qui souffre cependant de nombreuses
exceptions) qui confère au mâle une nature visant à multi-
plier le nombre de ses partenaires tandis que la femelle
se doit d’être plus sélective.
Pour sélectionner parmi les mâles, les femelles basent
leur choix sur les Caractères Sexuels Secondaires (CSS).
Ces CSS sont représentatifs de la qualité des mâles et
sont utilisés comme un moyen d’évaluer le mâle qui les
possède. Une explication de l’évolution des CSS a été
proposée par le mathématicien Fisher [20]. Les mâles
possédant des traits favorisant la reproduction ont
davantage de descendants que les autres car ils peuvent
augmenter le nombre de femelles qu’ils fécondent. En
parallèle, les femelles marquant de fortes préférences
pour ces mâles sont également avantagées puisqu’el-
les possèdent une descendance masculine plus attrac-
tive. Ainsi, un processus d’emballement se met en place
entre les CSS exagérés des mâles et les préférences
des femelles pour ces CSS.