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Le chant des oiseaux : un mode de communication sophistiqué
Ce sont les oiseaux chanteurs, encore appelés Oscines.
Ces oiseaux, appartenant tous à l’ordre des Passériformes,
apprennent, par imitation d’un tuteur, un type de vocalisa-
tion : le chant. Parmi ces oiseaux susceptibles d’apprendre
leur chant, il faut encore distinguer deux catégories :
- les «age-limited learners» qui apprennent à construire leur
chant pendant une période limitée de leur vie, correspon-
dant aux premières semaines suivant leur éclosion, et
- les «open-ended learners» qui sont capables de modifier
leur chant et d’acquérir de nouvelles notes et syllabes toute
leur vie. Quel que soit le processus, cet apprentissage a
une conséquence : Comme le chant se transmet par tradi-
tion orale entre les tuteurs (généralement les pères) et les
pupilles (généralement les fils) et que la copie n’est jamais
parfaite d’une génération à l’autre, des dérives acousti-
ques des chants se produisent entre des zones géogra-
phiques différentes, conduisant à l’apparition de ce que
l’on a appelé des dialectes. Ainsi, les chants d’une même
espèce peuvent différer d’une région à l’autre (figure 2).
Lorsque cette différence porte sur une zone géographi-
que limitée, comme de part et d’autre d’un fleuve ou entre
deux forêts, on parle de micro-dialecte et lorsque la zone
géographique est plus importante, d’une région ou d’un
pays à l’autre, on parle de macro-dialecte ou simplement
de dialecte. Tout comme l’homme, les oiseaux peuvent
donc avoir des accents régionaux.
Fig. 2 : Chants territoriaux de 3 mâles troglodytes (Troglodytes
troglodytes) établis dans 3 localités différentes (notées A,
B et C), espacées de quelques kilomètres. Les chants sont
de même durée et dans la même gamme de fréquences,
mais on peut remarquer que le type de syllabes utilisées
varie selon les localités. Certaines syllabes peuvent aussi
être communes (exemples encadrés en couleur) mais
leur enchaînement ou leur position dans le chant varie.
Les messages du chant
Lorsqu’un oiseau chante, il véhicule simultanément diffé-
rents messages. Le premier message du chant tient à sa
fonction : attirer les femelles de l’espèce dans le territoire
et repousser les autres mâles. Avec son chant, l’oiseau
revendique donc la propriété d’une parcelle de terrain qu’il
occupe. En chantant, il délivre également d’autres informa-
tions importantes qui sont les informations spécifiques,
régionales, de groupe, individuelles ainsi qu’une informa-
tion sur son état émotionnel. Avec ce signal, l’oiseau laisse
également passer une information que l’on pourrait quali-
fier de passive ou d’involontaire : sa position dans l’espace.
Ainsi, un rouge-gorge, lorsqu’il chante délivre simultanément
plusieurs messages que l’on pourrait, sans anthropomor-
phisme excessif, traduire par : «J’appartiens à l’espèce rouge-
gorge, je suis originaire du Bassin Parisien, j’appartiens au
groupe du Jardin du Luxembourg, je m’appelle Edouard et
je suis très motivé pour défendre le territoire que j’occupe
avec ma femelle et qui est situé à gauche du bassin».
Il y a enfin une autre information involontaire délivrée
par le chanteur : elle concerne son état physiologique.
La nature des notes et syllabes ou leur variété informe-
rait la femelle de «l’état de santé» ou de l’expérience du
mâle. Par exemple, certains mâles canari sont capables
de produire des syllabes qualifiées de «sexy». Des chants
contenant ces syllabes sexy se sont révélés plus aptes à
déclencher chez les femelles des postures de sollicitation
à l’accouplement que des chants qui en sont dépourvus.
Ces syllabes présentent des caractéristiques acoustiques
particulières : une modulation de fréquence importante sur
un temps très court. Ces caractéristiques en feraient des
sons difficiles à produire et qui ne pourraient donc être
émis que par des mâles expérimentés. D’autres expérien-
ces menées chez d’autres espèces ont montré que les
femelles préféraient des mâles capables d’introduire beau-
coup de variété dans leurs chants. Les femelles seraient
donc attirées par les chanteurs virtuoses.
L’étude des codes
Comment peut-on décoder les différents niveaux d’informa-
tion véhiculés par le chant ? Tout simplement, en analysant
le signal puis en interrogeant les individus. Une première
étape pourrait être de soumettre différents signaux
enregistrés à des réseaux neuronaux. Que nous apprend
ce type d’analyse ? Simplement que sur une base pure-
ment acoustique, il est possible de distinguer des espè-
ces, des groupes ou des individus. Pour aller plus loin et
en particulier pour déterminer les paramètres acousti-
ques susceptibles de porter une information spécifique,
de groupe ou individuelle, il faut effectuer d’autres types
d’analyses. Une des plus classiques consiste à compa-
rer les variances des paramètres acoustiques au sein des
signaux. Ce calcul des variances peut s’effectuer sur l’en-
semble des paramètres acoustiques pris en compte (cas
des analyses discriminantes ou des analyses en compo-
santes principales) ou paramètre par paramètre (cas des
coefficients de variation). Par exemple, dans ce dernier
cas, si l’on veut savoir si un paramètre est susceptible
de porter une information individuelle dans le chant d’une
espèce donnée, on va comparer la variation de ce paramè-
tre dans les différents chants émis par un individu à celle
de ce même paramètre dans les chants d’un ensemble
d’individus jugé représentatif de l’espèce. Si la variation
individuelle est très inférieure à la variation de la popula-
tion, on peut en déduire qu’il y a une possibilité de signa-
ture individuelle au niveau de ce paramètre. Cependant,
si par l’analyse on peut détecter des potentialités de
signatures (spécifiques, de groupe, individuelles) pour un
certain nombre de paramètres, cela ne nous indique pas
quels sont ceux utilisés réellement par l’oiseau. Pour le
savoir, il faut lui poser des questions par l’intermédiaire
de leurres acoustiques. Qu’est ce qu’un leurre acousti-
que ? C’est un signal naturel (ici un chant) dans lequel un
ou plusieurs paramètres acoustiques ont été modifiés.