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Les ‘ronds dans l’eau’ des Anciens Stoïciens
peu obscures. Cette métaphore a bénéficié d’une posté-
rité importante, d’une consécration même, puisqu’elle a
fondé tout le vocabulaire de l’acoustique à partir du seul
mot ‘onde’, unda en latin, ou, ce qui est encore plus expli-
cite, ‘wave’ en anglais. En effet, le texte grec utilise un
terme (kumatoumai ) qui exprime nettement le mouvement
d’agitation des vagues.
On peut reconstruire cette théorie du son à partir des
éléments connus de la physique stoïcienne. Le son a
une nature matérielle, c’est une ‘forme’ prise par l’air qui
s’inscrit à un premier niveau dans la ‘sensation’, et à un
second dans l’âme sous la forme d’une ‘représentation’.
En opposition avec Aristote, les Stoïciens pensent que
le son a une existence matérielle propre, distincte du
mouvement du choc sonore initial et de la sensation par
l’audition. Le son, c’est de l’air qui a été impressionné par
une forme, elle-même générée par le pneuma émis par la
voix ou par le choc sonore. L’air est composé de parties
qui se communiquent cette ‘forme’ de proche en proche
par le pneuma contenu dans chaque partie d’air sonore.
Le son se propage dans toutes les directions à partir du
centre sonore, et comme ces parties d’air contiennent
le même pneuma, ils ont une même énergie et forment
des cercles autour du corps sonore. Ces déformations
circulaires de l’air ressemblent aux ronds qui se forment
à la surface de l’eau quand on y jette une pierre. Le son
est donc de l’air modifié par ce pneuma initial qui change
constamment la proportion des éléments qui compo-
sent cet air modifié. Ces éléments assimilent l’informa-
tion venue du pneuma et construisent le timbre du son.
L’air sonore est donc un ‘mélange total’ entre l’air et le
pneuma sonore. Tout ceci parait bien entendu un peu
confus, mais c’est de cette façon que les Anciens faisaient
de la physique. L’Histoire des sciences ne retient de cette
théorie que la représentation de la propagation du son
sous forme de ces cercles concentriques qui se forment
à la surface de l’eau lorsqu’on y jette une pierre.
Les ronds dans l’eau
Entre les Anciens Stoïciens et Diogène Laërce, on dispose
d’une trace écrite fiable datée de quelques décennies avant
notre ère et qui nous vient du Monde romain. Il s’agit du
Traité d’architecture écrit par Vitruve, auteur dont on ne
connaît que très peu de choses mais dont l’ouvrage rencon-
tre une certaine célébrité à partir de la Renaissance. Il
s’agit d’un manuel complet de construction en dix livres
qui étudie notamment l’architecture des bâtiments publics,
et parmi eux, au livre V, des théâtres. Dans cette partie,
Vitruve s’attarde longuement sur l’acoustique architectu-
rale en faisant intervenir des considérations musicales et
harmoniques. Ce livre est, en particulier, la première trace
écrite décrivant assez précisément les fameux ‘vases
acoustiques’ utilisés dans les théâtres grecs quelques
siècles auparavant. Ce sujet sera abordé ultérieurement
dans un article qui lui sera consacré.
L’étude acoustique entreprise par Vitruve commence par
une description de la propagation du son qui reprend l’ana-
logie stoïcienne des ‘ronds dans l’eau’ :
L’histoire des sciences retient des Anciens Stoïciens que la représentation de la propagation du son sous forme de
cercles concentriques est semblable à ceux qui se forment à la surface de l’eau lorsqu’on y jette une pierre.