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Les ‘ronds dans l’eau’ des Anciens Stoïciens
Nous faisons à nouveau appel à Diogène Laërce, le bio-
bibliographe des philosophes de l’Antiquité, pour accé-
der à la pensée stoïcienne de la période dite ‘hellenisti-
que’, à Athènes vers le III
e
siècle av. J.-C.. Il écrit sa ‘Vie
et doctrines des philosophes’ vers le III
e
siècle, soit plus
de 600 ans après les auteurs dont il parle, mais après les
avoir lus, alors que leurs écrits ont presque tous disparu
depuis. Le livre de Diogène Laërce est une source abon-
dante concernant la philosophie grecque qui comprenait,
outre la métaphysique et la morale, la logique, la science
de la nature et la physique.
On entend généralement que la philosophie stoïcienne est,
à l’inverse de l’Épicurisme, une morale fondée davantage
sur la souffrance que sur la jouissance de la vie. Cette
approche est un peu simpliste et le stoïcisme a souvent
été caricaturé. On sait moins que ces philosophes dévelop-
paient une théorie de la nature et une physique originales.
Le Stoïcisme s’est répandu à Athènes vers 300 av. J.-C.,
en opposition sur bien des points à la philosophie d’Aris-
tote, alors à son apogée. L’enseignement se déroulait dans
un lieu nommé ‘le Portique’, et les principaux représen-
tants de cette pensée sont Zénon de Citium, Cléanthe et
surtout Chrysippe. Par la suite, la philosophie du Portique
s’est répandue dans tout le Monde romain et a connu un
certain succès auprès de nombreux auteurs ; elle avait
également ses détracteurs par qui on apprend beaucoup.
Plus tard encore, le Christianisme naissant a emprunté une
grande partie de sa morale au Stoïcisme, mais a refusé
sa physique trop matérialiste.
Peu de traces de la physique des Stoïciens nous sont
parvenues. On ne dispose pas des textes de l’ancien
Stoïcisme, et leur pensée apparaît dans des extraits
d’ouvrages, favorables ou non, qui eux, ont été trans-
mis jusqu’à la Renaissance. Parmi ces auteurs, on trouve
Cicéron et Sénèque, adeptes du Stoïcisme à l’époque
romaine, mais peu intéressés par la Physique et les scien-
ces en général. Plutarque, qui avait accès aux écrits de
Chrysippe, en a fait la critique et, à cette occasion, en a
cité quelques extraits.
La physique stoïcienne est fondée sur un prédicat matéria-
liste : la Nature est constituée de corps. Ces corps résultent
de l’interaction de deux principes, l’un actif, l’autre passif. Ce
dernier est la substance sans qualité, la matière. Le principe
actif est nommé, selon les auteurs, ‘raison’, ‘dieu’, ‘cause’,
‘feu intelligent’, mais on le désigne souvent par ‘souffle’,
ou pneuma . Evitant la juxtaposition simple des éléments,
le pneuma assure leur cohésion, et leur donne une ‘forme’
qui véhicule les caractéristiques d’un corps quelconque,
animé ou non. Une autre notion de la physique stoïcienne
repose sur le mélange, partiel ou total, des constituants de
la matière. L’homme a une connaissance du monde natu-
rel par les sensations qui sont les ‘représentations’ dans
l’âme des ‘impressions’ des sens. La notion d’impression
est issue d’une célèbre analogie, celle de «la cire qui reçoit
l’empreinte de l’anneau sans en conserver le métal».
Pour terminer cet aperçu de leur physique, les Stoïciens
n’acceptent pas l’idée de vide, à l’inverse de leurs adver-
saires atomistes épicuriens. Les corps constituant la
matière sont en mouvement continu. Ce mouvement des
corps les uns dans les autres, lorsqu’il n’est pas mélange,
procède «à la façon d’un poisson se déplaçant dans l’eau» :
le milieu fait place au corps en mouvement par un glisse-
ment de la matière autour de lui, processus qu’on appelle
‘antipéristase’.
Le son des Stoïciens
La physique stoïcienne de la première époque aborde la
propagation et la nature du son. Le sujet est traité inci-
demment par Diogène Laërce dans la partie consacrée à
l’école du Portique, à l’occasion de l’étude des phénomè-
nes naturels. A propos de l’audition, on lit cette phrase :
On entend quand, entre celui qui parle et celui qui écoute,
l’air, dans un mouvement sphérique, vient frapper les
oreilles par vagues, comme l’eau d’un réservoir est agitée
de vagues concentriques quand on y jette une pierre.
Diogène écrit ces lignes en évoquant la physique de
Chrysippe. Les Stoïciens sont friands des comparaisons
et des analogies pour expliquer leurs notions parfois un
Les ‘ronds dans l’eau’ des Anciens Stoïciens
François Baskevitch, docteur en Histoire des sciences,
spécialisé en Histoire de l’Acoustique physique