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La psychoacoustique dévoile le potentiel musical du timbre
flux auditifs est le suivant : des événements successifs qui
sont relativement semblables au niveau de leurs proprié-
tés spectrotemporelles (c’est-à-dire de leurs timbres et
hauteurs) pourraient provenir de la même source sonore
et devraient être groupés ensemble ; des sources indivi-
duelles ne tendent pas à changer les propriétés acousti-
ques soudainement et de façon répétée d’un événement
à l’autre. Les premières démonstrations de la formation
des flux sur la base du timbre [14] suggèrent un lien entre
la représentation de l’espace de timbres et la tendance
à former des flux sur la base des différences spectrales
résultant des différences de timbre [41]. Les premiers
chercheurs ont été convaincus que c’était principalement
les aspects spectraux du timbre (comme le centroïde
spectral) qui étaient responsables de la ségrégation des
flux et que les aspects temporels (comme le temps d’at-
taque) avaient peu d’effet [43].
Récemment les opinions ont changé significativement et
plusieurs études indiquent un rôle important pour les attri-
buts à la fois spectraux et temporels du timbre dans la
ségrégation auditive [44]. Iverson [45] a utilisé des séquen-
ces alternant entre deux sons d’instruments enregistrés
ayant les mêmes hauteurs et sonies et a demandé aux
auditeurs d’évaluer le degré de ségrégation perçue. Une
analyse multidimensionnelle des jugements de ségréga-
tion (traités comme une mesure de dissemblance) a été
effectuée pour déterminer quels attributs acoustiques
contribuaient à l’impression de ségrégation auditive. Une
comparaison avec un espace de timbres construits avec
les mêmes sons [15] a montré que les attributs acousti-
ques à la fois spectraux (centroïde spectral) et dynami-
ques (temps d’attaque et flux spectral) étaient impliqués
dans la ségrégation. D’autres résultats étayent cette
hypothèse [46,47].
Tous ces résultats sont importants pour la théorie de
l’analyse des scènes auditives. D’un côté, ils montrent
que plusieurs des propriétés acoustiques d’une source
sont prises en compte dans la formation des flux audi-
tifs. D’un autre côté, ils sont importants pour faire de
la musique (que ce soit avec des synthétiseurs ou des
instruments acoustiques), car ils montrent que plusieurs
aspects du timbre affectent fortement l’organisation de
la surface musicale en flux auditifs. Des orchestrations
différentes d’une séquence de hauteurs donnée peuvent
changer complètement ce qui est entendu comme mélo-
die et rythme, comme l’a montré Wessel [14]. Le timbre
est également un composant important dans la perception
des groupements musicaux, qu’ils soient au niveau des
séquences de notes distinguées par des changements de
timbre [48] et des plus grandes sections musicales déli-
mitées par des changements marqués d’orchestration ou
de texture timbrale [49].
Le timbre comme force structurante dans la
musique
La perception du timbre est au cœur de l’orchestration,
un domaine de la pratique musicale qui n’a guère été
étudiée expérimentalement. Des combinaisons d’instru-
ments peuvent donner lieu à de nouveaux timbres si les
sons sont perçus comme mélangés ou fusionnés percep-
tivement. Et le timbre peut jouer un rôle dans la création
et le relâchement de tension musicale.
Mélanges de timbres
La création de nouveaux timbres par l’orchestration dépend
nécessairement du degré auquel les sources sonores
constituantes se fusionnent ou se mélangent pour créer
le nouveau son émergeant [50,51]. Sandell [52] a proposé
trois classes d’objectifs perceptifs dans la combinaison
des instruments :
- l’hétérogénéité timbrale dans laquelle on cherche à main-
tenir les instruments perceptivement distincts,
- l’augmentation timbrale dans laquelle un instrument
embellit un autre qui domine perceptivement la combi-
naison, et
- l’émergence timbrale dans laquelle un nouveau son en
résulte qui n’est identifié comme aucun des deux consti-
tuants.
Le mélange semble dépendre d’un certain nombre de
facteurs acoustiques comme le synchronisme des atta-
ques des sons et d’autres qui sont plus directement liés
au timbre, comme la similarité des temps d’attaque et
des centroïdes spectraux, ainsi que le centroïde global
de la combinaison. Lorsque l’on combine des sons entre-
tenus et percussifs, le son percussif a l’effet le plus fort
sur leur fusion perceptive, mais les propriétés spectra-
les du son entretenu dominent la perception du timbre
du mélange [53].
L’apprentissage implicite des grammaires de timbre
Pour utiliser le timbre de manière syntaxique dans la
musique, il faudrait que les auditeurs puissent appren-
dre des règles d’enchaînement de timbres comme pour
la durée et la hauteur. Cette possibilité a été explorée
par Bigand, Perruchet & Boyer [54] dans un premier
temps, suivi par les études de Tillmann & McAdams
[55] par la suite.
Bigand et al. [54] ont présenté des grammaires artificiel-
les de sons musicaux. Des règles d’enchaînement ont été
créées. Après une exposition aux séquences construites
avec la grammaire, les auditeurs entendaient de nouvel-
les séquences et devaient dire si chaque séquence était
conforme ou non à la grammaire apprise. Le taux de
bonnes réponses était supérieur au hasard, indiquant
la capacité des auditeurs à apprendre une grammaire
de timbre.
Tillmann & McAdams [55] ont étudié l’influence des carac-
téristiques acoustiques sur l’apprentissage implicite de
régularités statistiques (les probabilités de transition)
dans des séquences de timbres musicaux. Ces régu-
larités formaient des groupes de trois timbres succes-
sifs (tiré de [11]) : la probabilité de transition entre le
premier et le deuxième ou entre le deuxième et le troi -
sième timbre était largement supérieur à celle qui est
entre le troisième timbre d’un groupe et le premier timbre
de tous les autres groupes dans l’expérience. Dans la
phase d’apprentissage implicite, les auditeurs enten-
daient une séquence isochrone de timbres pendant une
vingtaine de minutes. En outre, les séquences ont été
construites pour que le groupement auditif sur la base
de similarités entre les timbres soit conforme ou pas