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La psychoacoustique dévoile le potentiel musical du timbre
Ces connaissances l’aident à suivre une voix ou un instru-
ment donné dans une texture musicale complexe. Les
auditeurs font cela avec aise et certaines recherches ont
montré que les facteurs de timbre pouvaient faire une
contribution importante dans le suivi des voix [35,36], une
capacité qui est particulièrement utile face à des textu-
res polyphoniques.
Les désavantages peuvent se manifester dans des situa-
tions où le compositeur cherche à créer des mélodies qui
se baladent d’un instrument à l’autre, par exemple, dans les
Klangfarbenmelodien de Schoenberg [37]. Notre prédispo-
sition à identifier la source sonore et de la suivre au cours
du temps empêcherait une perception plus relative pour
laquelle les différences de timbre seraient perçues comme
un mouvement à travers l’espace de timbres plutôt que
comme un simple changement de source sonore. Pour
des cas où de telles compositions de timbre marchent,
les compositeurs ont souvent pris des précautions pour
créer une situation musicale qui conduit l’auditeur vers un
mode d’écoute où la perception des relations prime sur
celle des objets.
Intervalles de timbre
Si on peut démontrer la possibilité de percevoir des inter-
valles de timbre, la porte sera ouverte pour le dévelop-
pement d’opérations musicales sur des séquences de
timbre, de la même manière que les compositeurs font
des opérations sur les intervalles de hauteurs [5]. Un autre
intérêt de cette exploration est qu’il étend l’utilisation de
l’espace de timbres comme un modèle au-delà du para-
digme de dissemblance.
Ehresman & Wessel [14,38] ont été les premiers à propo-
ser cette piste, en développant une tâche dans laquelle les
auditeurs devaient juger la similarité d’intervalles formés
par des paires de timbres. L’idée de base est que les inter-
valles de timbres auraient des propriétés perceptives
semblables à celles des intervalles de hauteurs : un inter-
valle de hauteurs est une relation le long d’une dimension
bien ordonnée qui retient une certaine invariance sous
certains types de transformation, comme la translation sur
une dimension, ce que les musiciens appellent la «trans-
position». Mais quelle pourrait être la signification d’une
transposition dans un espace multidimensionnel ? On peut
considérer un intervalle de timbre comme un vecteur dans
l’espace qui lie deux timbres. Il a une longueur précise (la
distance entre les timbres) et une orientation précise. Pris
ensembles, ces deux propriétés définissent la quantité de
changement le long de chaque dimension de l’espace néces-
saire pour passer d’un timbre à un autre. Si on présume
que ces dimensions sont continues et linéaires du point de
vue perceptif, les paires de timbres caractérisées par la
même relation vectorielle devraient avoir la même relation
perceptive et devraient former ainsi le même intervalle de
timbres. La transposition dans ce cas consiste à translater
le vecteur n’importe où ailleurs dans l’espace, tant que sa
longueur et son orientation sont préservées.
Ehresman & Wessel ont testé cette hypothèse en utilisant
une tâche dans laquelle les auditeurs devaient compa-
rer deux intervalles de timbres (par exemple, A-B contre
C-D) et ordonner plusieurs timbres D selon leur capacité
à maintenir l’analogie : timbre A est à timbre B ce que
timbre C est à timbre D. Ils ont trouvé que plus le timbre
D était proche d’un point idéal défini par le modèle vecto-
riel dans l’espace de timbres (c’est-à-dire que le vecteur
C-D idéal était une simple translation du vecteur A-B), plus
le vecteur C-D était préféré.
Par la suite, McAdams & Cunibile [39] ont testé le modèle
vectoriel dans l’espace 3D de Krumhansl [13] (en igno-
rant les spécificités). Cinq ensembles de timbres à des
endroits différents de l’espace de timbres ont été choi-
sis pour chaque comparaison afin de voir si les résultats
se généralisaient. Les non musiciens et les compositeurs
de musique électroacoustique participaient à l’étude pour
voir si la formation et l’expérience musicales avaient un
effet. Les auditeurs ont trouvé la tâche assez difficile, ce
qui n’est pas très surprenant étant donné que même les
compositeurs professionnels n’ont pratiquement aucune
expérience avec des musiques qui utilisent les intervalles
de timbres de façon systématique. Le résultat principal est
encourageant dans le sens où les données étayent globa-
lement le modèle vectoriel, bien que celles des composi-
teurs se conformassent plus au modèle que celles des non
musiciens. Cependant, lorsque l’on examine de près les 5
versions différentes pour chaque type de comparaison, il
est clair que certaines comparaisons de timbres ne vont
pas dans le sens des prédictions du modèle.
Un facteur à prendre en considération est que les spéci-
ficités sur certains timbres dans cet ensemble ont été
ignorées. Et ces spécificités distordraient nécessaire-
ment les vecteurs utilisés pour choisir les timbres, car
les spécificités sont comme une dimension supplémen-
taire pour chaque timbre. Ainsi, certains intervalles de
timbres correspondent bien à ce qui est prédit parce
que les spécificités sont absentes ou de valeur faible,
tandis que d’autres seraient sérieusement distordus et
donc pas perçus comme semblables aux autres interval-
les du fait de spécificités élevées. Ce genre de raisonne-
ment suggère que l’utilisation des intervalles de timbres
comme partie intégrante d’un discours musical coure le
risque d’être difficile à accomplir avec des sources sono-
res très complexes et idiosyncrasiques, parce qu’ils auront
vraisemblablement des spécificités. L’utilisation des inter-
valles de timbres pourrait, à long terme, être limitée aux
sons synthétisés ou des sons mélangés créés par la combi-
naison de plusieurs instruments.
Le timbre et le groupement musical
Une façon importante dont le timbre peut contribuer à
l’organisation d’une structure musicale est liée au fait
que les auditeurs tendent à connecter perceptivement
les événements successifs provenant de la même source
sonore. En général, une source donnée produira des sons
qui sont relativement semblables en termes de hauteur,
sonie, timbre et position spatiale d’un événement à l’autre
(voir [40,41] pour des revues de questions). On appelle la
liaison perceptive d’événements sonores successifs en un
«message» cohérent au cours du temps «l’intégration en
flux auditifs», et la séparation des événements en messa-
ges distincts «la ségrégation des flux auditifs» [42]. Un des
principes de base qui semble opérer dans la formation de