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La psychoacoustique dévoile le potentiel musical du timbre
la forme spectrale afin d’explorer ces aspects du timbre.
Néanmoins, l’avancement marqué dans la compréhension
de la représentation perceptive du timbre a dû attendre le
développement des techniques d’analyse multidimension-
nelle des données de proximité dans les années 60, ainsi
que les techniques de traitement de signaux des années
70. Plomp [8] et Wessel [9] ont été les premiers à appli-
quer ces techniques à la perception du timbre.
L’espace de timbres
L’analyse multidimensionnelle n’impose aucune préconcep-
tion sur la structure physique ou perceptive du timbre. Les
auditeurs évaluent simplement toutes les paires tirées d’un
ensemble de sons sur une échelle allant de très similaire
à très dissemblable. Les sons sont normalement égalisés
en hauteur, sonie et durée afin que seul le timbre varie,
focalisant ainsi l’attention des auditeurs sur cet ensem-
ble de propriétés des sons. Ensuite on ajuste un modèle
de distance aux évaluations de dissemblance : les sons
proches dans le modèle sont similaires au niveau de leurs
timbres et les timbres différents sont éloignés. On appelle
la représentation graphique de cette structure un «espace
de timbres». Le modèle de base est exprimé en termes
de dimensions continues partagées par l’ensemble des
timbres, la présomption sous-jacente étant que tous les
auditeurs utilisent les mêmes dimensions perceptives
pour comparer les timbres. Des modèles plus complexes
comprennent en outre des dimensions ou traits spécifi-
ques à certains timbres (appelés «spécificités») ainsi que
des poids perceptifs différents accordés aux dimensions
et spécificités par des individus ou classes d’individus
[10,11]. De telles techniques ont été appliquées aux sons
synthétiques [8,12], aux sons d’instruments resynthétisés
ou simulés [10,11,13,14], aux sons d’instruments enregis-
trés [15,16], et même aux dyades de sons d’instruments
enregistrés [17].
On trouve souvent des spécificités pour les sons acous-
tiques et synthétiques complexes. On considère qu’el -
les représentent la présence de traits uniques qui distin-
guent un son de tous les autres dans un contexte donné.
Par exemple, dans un ensemble de sons de cuivres,
de bois et de cordes frottées, un clavecin possède un
trait qui n’est partagé avec aucun autre son : le retour
du sautereau qui crée un bruit sourd et qui éteint rapi -
dement le son à la fin. Ces caractéristiques pourraient
apparaître comme une spécificité forte dans le modèle
de distance [11,13].
Les modèles intègrent des différences entre individus et
classes comme des pondérations sur les différentes dimen-
sions et sur l’ensemble des spécificités. Certains auditeurs
portent plus d’attention aux propriétés spectrales et igno-
rent les aspects temporels, tandis que d’autres font l’in-
verse. Cette variabilité pourrait refléter soit des différen-
ces dans le traitement sensoriel, soit dans les stratégies
d’écoute et d’évaluation. Il est curieux qu’aucune étude
de nos jours n’ait pu étayer l’hypothèse selon laquelle les
différences individuelles auraient quelque chose à voir
avec l’expérience et la formation musicales [11]. Le fait
que la perception du timbre soit si étroitement alliée à la
capacité à reconnaître des sources sonores dans la vie
quotidienne pourrait faire en sorte que tout le monde soit
un expert en quelque sorte.
Les corrélats acoustiques des dimensions du timbre
Plusieurs études ont déterminé les corrélats acoustiques
indépendants des dimensions continues du timbre en corré-
lant la position le long de la dimension perceptive avec
un paramètre acoustique unidimensionnel calculé à partir
des sons [18,19]. Les corrélats, aussi appelés «descrip-
teurs», les plus répandus dérivés des sons d’instruments
de musique comprennent :
- le centroïde spectral qui représente le poids relatif
des fréquences aiguës et graves et qui correspond à la
brillance du timbre (un hautbois a un centroïde plus élevé
qu’un cor d’harmonie),
- le logarithme du temps d’attaque qui distingue les sons
entretenus par le souffle ou le frottement des sons d’ins-
truments produits par le pincement ou la frappe,
- le flux spectral ou le degré d’évolution de la forme spectrale
au cours de la durée du son, qui est élevé pour les cuivres
et plus faible pour les instruments à anche simple, et
- l’irrégularité spectrale soit l’aspect saccadé de la forme
spectrale (élevé pour la clarinette et le vibraphone, faible
pour la trompette).
Caclin, McAdams, Smith & Winsberg [20] ont conduit une
étude confirmatoire employant les jugements de dissem-
blance sur des sons purement synthétiques pour lesquels
la nature exacte des dimensions des stimuli pouvait être
contrôlée. Ils ont confirmé la perception des dimensions
liées au centroïde spectral, le temps d’attaque et l’irré-
gularité spectrale, mais ont remis en question le statut
du flux spectral.
La combinaison d’un modèle quantitatif des relations
perceptives entre timbres et l’explication psychophysi-
que des paramètres du modèle est un pas important pour
atteindre un contrôle prévisible du timbre dans plusieurs
domaines tels que l’analyse et la synthèse sonore et la
recherche intelligente dans des bases de données sono-
res [21]. De telles représentations ne sont utiles que dans
la mesure où elles sont :
- généralisables au-delà de l’ensemble des sons étudiés,
- robustes par rapport aux changements dans le contexte
musical, et
- généralisables à d’autres tâches d’écoute que celles qui
sont utilisées pour construire le modèle.
Si une représentation possédait ces propriétés, on pour-
rait considérer qu’elle rende compte de façon précise du
timbre musical, étant caractérisé par une propriété essen-
tielle d’un modèle scientifique, la capacité à prédire de
nouveaux phénomènes empiriques.
Les modèles de l’espace de timbres ont été utiles pour
prédire la perception des auditeurs dans des situations
autres que celles qui sont présentées dans des expé-
riences, suggérant ainsi que ces modèles captent des
aspects importants de la représentation perceptive du
timbre. Grey & Gordon [18] ont trouvé qu’en échangeant
les enveloppes spectrales entre paires de sons qui se
distinguaient principalement sur la dimension spectrale,
chacun des deux sons a pris la place de l’autre dans l’es-
pace de timbres. Ces espaces ont pu également prédire
la perception des relations entre paires de timbres (les
intervalles de timbre), ainsi que la ségrégation des flux
auditifs basée sur des indices acoustiques liés au timbre
(voir ci-après).