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Timbre» est un mot dont l’aspect vague peut nous faire
penser, à tort, que la signification est simple. Mais ce mot
englobe un ensemble très complexe d’attributs auditifs,
ainsi qu’une pléthore de problématiques psychologiques
et musicales. Il comprend plusieurs paramètres perceptifs
dont ne rendent pas compte ceux de la hauteur tonale, la
sonie (ou l’intensité perçue), la position dans l’espace, la
durée, ou des caractéristiques environnementales diver-
ses comme la réverbération de la salle. Ceci laisse une
richesse de possibilités que les chercheurs en psychoa-
coustique ont exploré depuis au moins les 4 dernières
décennies. Nous savons maintenant que le timbre possède
deux caractéristiques globales qui contribuent à la percep-
tion de la musique :
1) il est un ensemble très varié d’attributs sensoriels
abstraits, dont certains varient au cours du temps (par
exemple,  le mordant de l’attaque, la brillance, la nasa-
lité, la richesse sonore), et d’autres sont discrets ou caté-
goriels (par exemple, le «blatte» au début d’un sforzando
joué par un trombone ou l’extinction brusque d’un son de
clavecin), et
2) il est un des véhicules perceptifs principaux pour la
reconnaissance, l’identification et le suivi au cours du
temps d’une source sonore (une voix de chanteuse, une
clarinette, un ensemble de cloches de carillon) [1,2,3].
L’approche psychoacoustique comprend également des
recherches sur le timbre comme ensemble de dimensions
porteuses de forme en musique [4].
Le timbre comme ensemble multidimensionnel
d’attributs auditifs
Une des approches principales de la perception du timbre
tente de caractériser quantitativement les différences
perceptives entre sons. Des recherches précoces sur le
timbre ont focalisé sur des aspects préconçus comme
les poids relatifs des différentes fréquences présentes
dans un son, ou sa «couleur sonore» [5]. Une voix qui
chante un do tout en faisant varier la voyelle chantée, ou
un joueur d’un instrument de cuivre qui tient une note en
faisant varier l’embouchure et la forme de sa cavité vocale,
varient tous deux la forme du spectre sonore qui repré-
sente le niveau de chaque partiel du son en fonction de
sa fréquence (voir [6]). Helmholtz [7] a inventé des dispo-
sitifs résonants d’une grande ingéniosité pour contrôler
La psychoacoustique dévoile le potentiel
musical du timbre
Stephen McAdams, Bruno L. Giordano
CIRMMT
École de musique Schulich
Université McGill
555, rue Sherbrooke Ouest
Montréal
Québec
Canada H3A 1E3
Résumé
Le timbre est un attribut musical qui n’a pas été analysé dans la théorie musicale
autant que la durée et la hauteur. Pour ces derniers, de véritables théories
abondent, qui ont donné lieu aux hypothèses et à l’expérimentation sur les structures
psychologiques sous-tendant le traitement des informations musicales. En revanche,
l’examen des textes sur l’instrumentation et l’orchestration montre qu’ils ne sont
pas basés sur une théorie du timbre. Ces traités représentent pour la plupart des
recueils de recettes plutôt que des théories fondées sur des principes généraux et
généralisables. L’étude de la perception du timbre a été abordée pour la première fois
dans le domaine de la psychoacoustique et ces recherches commencent à s’étendre
vers la perception et la cognition musicales. Les premières études psychoacoustiques
du timbre ont déterminé la représentation perceptive multidimensionnelle des sons
isolés (appelé « espace de timbres »), ainsi que les propriétés acoustiques qui la
sous-tendent. Cette représentation soulève de nombreuses questions concernant
le rôle du timbre dans la musique. Un modèle d’un espace de timbres peut-il
prédire la perception de relations abstraites entre timbres en termes d’intervalles
et de contours? Ces relations restent-elles perceptibles si les intervalles et contours
sont « transposés » dans l’espace perceptif ? L’espace de timbres est-il utile pour
déterminer comment une séquence de timbres sera organisée perceptivement en
flux auditifs ? Les auditeurs peuvent-ils apprendre des « grammaires » de timbres par
la simple exposition à un langage musical spécifique, sans apprentissage explicite ?
Et finalement, le timbre peut-il jouer un rôle dans des aspects de la forme musicale
à grande échelle, comme les alternances entre tension et détente musicales ? Les
recherches récentes montrent que les réponses à ces questions sont bien positives. La
confrontation entre les résultats des expériences perceptives et cognitives, d’un côté,
et les analyses musicales, de l’autre, devrait pouvoir nous conduire vers une véritable
théorie musicale du timbre fondée sur la recherche en acoustique psychologique.
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