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Le liage de sons successifs par le système auditif
«d’amorçage» («priming») [13], et elle doit également différer
de la mémoire implicite qui se traduit physiologiquement par
ce qu’on appelle de «l’adaptation» neuronale [14]. En effet,
les conséquences d’un stimulus-amorce ou d’un stimulus
adaptateur sur l’encodage d’un stimulus subséquent sont
maximales lorsque ce dernier est identique à l’amorce ou
au stimulus adaptateur ; l’effet d’amorçage ou d’adaptation
est d’autant plus fort que les deux stimuli se ressemblent.
Or les FSD sont censés répondre optimalement à de légè-
res différences entre stimuli. Un phénomène du type amor-
çage ou adaptation devrait logiquement favoriser la tâche
présent/absent sans apporter de bénéfice pour la tâche
up/down, alors que paradoxalement cette seconde tâche
s’avère plus facile que la première.
La mémoire auditive exploitée par les FSD paraît puis-
sante non seulement par sa durée de rétention, mais
aussi par sa capacité − i.e., la quantité d’éléments qu’elle
peut simultanément retenir. En fait, sa capacité semble
essentiellement illimitée. Telle est la conclusion suggé-
rée par une étude [15] dans laquelle la tâche up/down a
été effectuée avec des accords composés d’un nombre
variable (N) de sons purs. Outre N (varié de 1 à 12), nous
avons manipulé dans cette étude la durée (D) du silence
séparant l’accord du son pur T qui le suivait : D était
varié de 0 à 2000 ms. Comme on pouvait s’y attendre,
la performance des sujets a été d’autant meilleure que
N était petit et que D, lui aussi, était petit. Mais le résul-
tat le plus important est que l’effet de D sur la perfor-
mance n’a pas été plus grand quand N était grand que
quand N était petit. Autrement dit, la rétention mnési -
que des composants de l’accord n’a pas été plus faible
quand ces composants étaient nombreux que quand ils
étaient peu nombreux.
Le résultat que je viens de mentionner est surprenant au
regard de ce qu’on sait sur la mémoire visuelle. On s’ac-
corde en effet à penser que celle-ci est incapable de rete-
nir en détail une image complexe plus de 100 ms, et que
seules des images très simples peuvent être fidèlement
retenues plus longuement [16, 17]. En fait, de grandes
différences semblent exister entre vision et audition pour
ce qui concerne la détection de changement [18].
Changements spectraux versus changements de
périodicité
L’existence de FSD n’est pas suggérée seulement par le
phénomène auditif paradoxal que traduit l’avantage de la
tâche up/down sur la tâche présent/absent. Elle est égale-
ment suggérée par des résultats obtenus tout récemment
dans des expériences très différentes [19].
Dans ces expériences, le sujet devait à chaque essai juger
si deux séquences sonores présentées successivement
étaient identiques ou non. Chaque séquence comprenait
N = 1, 2, 4, ou 8 éléments successifs. Dans la première
des deux séquences présentées, chacun des éléments
était choisi au hasard parmi deux stimuli possibles (A et B),
qui étaient deux sons complexes harmoniques. Lorsque
la seconde séquence différait de la première, cette diffé-
rence se limitait à un seul élément, choisi au hasard ;
celui-ci devenait B plutôt que A, ou vice-versa. La tâche
n’était pas triviale car la différence entre A et B était faible.
Cette différence portait soit sur leur intensité, soit sur
leur fréquence fondamentale (et donc leur périodicité).
En outre, les deux sons pouvaient être formés soit d’har-
moniques résolus dans la cochlée, soit d’harmoniques non
résolus. Lorsque leurs harmoniques n’étaient pas résolus,
A et B étaient indiscriminables sur la base d’indices spec-
traux ; ils ne pouvaient être différenciés que du point de
vue de la périodicité globale, sur la base d’indices pure-
ment temporels. Dans tous les cas, la taille de la diffé-
rence physique entre A et B était initialement ajustée de
façon à ce que les deux sons aient un degré fixe de discri-
minabilité (correspondant à un d’ d’environ 2).
Le panneau gauche de la figure 6 montre l’effet qu’a eu N
sur la discrimination des séquences dans trois conditions
expérimentales. Dans la condition «INT», A et B différaient
par l’intensité. Dans la condition «F0/R», A et B différaient
par la fréquence fondamentale et leurs composantes
spectrales étaient résolues. Dans la condition «F0/NR»,
A et B différaient encore par la fréquence fondamentale
mais leurs composantes spectrales n’étaient pas réso-
lues. On voit que les résultats obtenus dans les condi-
tions INT et F0/NR ont été similaires : dans ces deux
conditions, la performance des sujets a décliné régu-
lièrement quand N a varié de 1 à 8. Dans la condition
F0/R, par contre, d’ est resté quasi-constant tant que
N n’excédait pas 4, et n’a diminué que quand N a atteint
sa valeur maximale, 8.
Le panneau droit de la figure 6 reproduit les résultats
obtenus dans les conditions INT (aire gris clair) et F0/R
(aire gris sombre), en y ajoutant (traits noirs et cercles)
la prédiction d’un modèle simple concernant l’effet de N
sur la performance. Ce modèle supposait que la discri -
mination des séquences était limitée seulement par la
discrimination entre A et B, et que les éléments des
séquences étaient traités indépendamment les uns des
autres. On voit que la discrimination des séquences par
les sujets a été moins bonne que prévue par le modèle
dans la condition INT (c’était aussi le cas dans la condition
F0/NR), mais que dans la condition F0/R les performan-
ces des sujets avaient dépassé celles qui sont prévues
par le modèle.
Fig. 6 : Résultats d’une expérience de Cousineau, Demany, et
Pressnitzer [19]. Voir le texte pour des commentaires
Les FSD étant conçus comme des détecteurs de chan-
gements
spectraux
, une seule des trois conditions de
l’expérience leur permettait de jouer un rôle − et d’avoir
un effet bénéfique − dans la discrimination des séquen-
ces ; c’était la condition F0/R.