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Le liage de sons successifs par le système auditif
Le second stimulus de la séquence était un simple son
pur («T»). Dans l’une des deux conditions expérimentales
(«présent/absent», voir le panneau central de la Figure 1),
T était ou bien identique à l’un des composants de l’ac-
cord (sélectionné au hasard parmi les trois composants
intermédiaires), ou bien situé exactement à mi-chemin
de deux composants (les distances fréquentielles étant
mesurées sur une échelle logarithmique) ; le sujet devait
indiquer si T était présent dans l’accord ou absent de lui.
Dans l’autre condition expérimentale («up/down», voir le
panneau gauche de la Figure 1), T était toujours positionné
un demi-ton plus haut ou plus bas (au hasard) que l’un des
composants de l’accord (sélectionné au hasard parmi les
trois composants intermédiaires) ; le sujet devait identifier
la direction de ce changement de fréquence. La Figure 2 (a)
montre les performances des 11 sujets testés, en termes
de l’indice d’ [6]. On voit que chaque sujet a mieux réussi
la tâche up/down que la tâche présent/absent, de façon
extrêmement nette en général.
Fig. 1 : Illustration des trois conditions expérimentales utilisées
par Demany et Ramos [5] : «up/down», «présent/
absent», et «présent/proche». Chaque segment horizontal
représente un son pur et les aires grisées représentent
un accord possible. Le son pur unique suivant un accord
(après un silence ignoré ici) pouvait prendre 6, 7, ou 9
fréquences possibles, selon la condition expérimentale.
Il était prévisible que, dans cette expérience, la tâche
présent/absent serait mal réussie. Plusieurs études anté-
rieures ont en effet montré qu’il était difficile de percevoir
individuellement les éléments d’une somme de sons purs
synchrones, même lorsque ces sons purs sont résolus
dans la cochlée et n’ont pas de relations harmoniques ;
les composants d’un tel accord exercent l’un sur l’autre un
«masquage informationnel» [7]. Par contre, il était impré-
visible que la tâche up/down serait mieux réussie que la
tâche présent/absent : le modèle standard de la théorie
de la détection du signal [6] prédisait l’issue inverse pour
un auditeur idéal capable d’entendre individuellement les
composants des accords.
Les sujets de l’expérience ont eu le sentiment qu’ils ne
parvenaient pas à percevoir individuellement les compo-
sants des accords, et que ce n’était pas nécessaire pour
réussir la tâche up/down. Dans la condition up/down, les
sujets ont dit percevoir T comme l’aboutissement d’un
mouvement mélodique dont le point de départ subjectif
était l’accord tout entier plutôt que l’un de ses éléments.
Cependant, il était permis d’imaginer que l’impression de
ne pas entendre individuellement le composant de l’accord
proche de T était illusoire et que les faibles performances
obtenues dans la tâche présent/absent s’expliquaient en
réalité par la nature de cette tâche, plus complexe que la
tâche up/down du point de vue décisionnel selon la théo-
rie de la détection du signal. Deux autres expériences ont
permis d’écarter cette explication.
Dans la première [5], les performances obtenues par
quatre sujets dans la tâche présent/absent ont été compa-
rées aux performances de ces mêmes sujets dans une
nouvelle tâche, baptisée «présent/proche» (voir le panneau
droit de la Figure 1). Dans la tâche présent/proche, le son
pur T suivant l’accord était ou bien identique à l’un des
trois composants intermédiaires de l’accord, exactement
comme dans la tâche présent/absent, ou bien positionné
1,5 demi-ton plus haut ou plus bas (au hasard) que l’un des
trois composants intermédiaires (sélectionné au hasard) ;
le sujet devait, comme dans la tâche présent/absent, juger
seulement si T était présent ou non dans l’accord. Du point
de vue de la théorie de la détection du signal – et en suppo-
sant crucialement que les composants des accords étaient
perceptibles individuellement – cette tâche présent/proche
était de même nature que la tâche présent/absent, mais
plus difficile encore du fait que T n’était jamais éloigné en
fréquence d’un composant de l’accord. Cependant, comme
l’indique la Figure 2 (b), l’expérience a montré que la plus
difficile des deux tâches était en réalité la tâche présent/
absent. Nous verrons un peu plus loin comment un modèle
simple de FSD peut rendre compte de ce constat, ainsi que
des résultats décrits précédemment.
Fig. 2 : Performance des sujets dans deux expériences
de Demany et Ramos [5]. La première (a) utilisait
les tâches présent/absent et up/down. La seconde
(b) utilisait les tâches présent/absent et présent/
proche. Chaque sujet est représenté par une pastille
dont le centre correspond à la valeur de d’ mesurée
dans les deux tâches et dont la surface délimite des
intervalles de confiance à 95%. Les lignes diagonales
indiquent où devraient se trouver les pastilles en cas
d’égalité des performances dans les deux tâches.