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Les «grains de son» des atomistes de l’Antiquité
La propagation sphérique des sons s’explique par une
mystérieuse multiplication de ces corpuscules qui se
copient à l’infini :
« La voix d’ailleurs se disperse en tous sens, car les sons
s’engendrent les uns les autres; un son se multiplie ample-
ment, comme l’étincelle éclate en gerbe de feu. Aussi les
sons s’emparent-ils des espaces les plus cachés et tous
les lieux d’alentour les renvoient en échos.»
En résumé, la théorie atomiste de la propagation des
sons se fonde sur l’existence du vide intercalaire entre
les atomes constituant la matière, dans lequel se forme
un flux de corpuscules de son dont la forme représente
le timbre et le débit l’intensité. La hauteur du son pour-
rait être représentée par la vitesse de propagation, mais
ce n’est pas explicitement énoncé. En effet, la vitesse est
une notion très peu appréhendée par les savants de l’An-
tiquité. Le mouvement de l’air n’intervient pas, mais c’est
un milieu favorable du fait de la grande quantité d’espace
vides dont il est constitué. La propagation se fait en tous
sens, de façon sphérique, contrairement à la lumière qui
se propage en ligne droite. Enfin les corpuscules de sons
obéissent aux lois de la mécanique et rebondissent sur
les corps durs pour former des échos.
Cette théorie sera éliminée et combattue dès les débuts de
la pensée chrétienne, en raison de la supposition de l’exis-
tence du vide et de la nature discontinue de la matière. Il
serait pourtant inexact d’attribuer le déclin de cette théo-
rie uniquement à ses détracteurs. Si la théorie atomiste de
la propagation des sons constitue une impasse, c’est en
raison de son caractère hypothétique. Aucune observation
ne vient corroborer les suppositions d’Epicure et de Lucrèce
sur les corpuscules de son. Toute séduisante qu’elle appa-
raisse, cette spéculation souffre d’un manque d’observa-
tions et d’expériences. Néanmoins on trouve, pendant tout
le Moyen Âge, à la Renaissance et au début du XVII
e
siècle,
un vocabulaire suggérant la nature percussive des champs
sonores lorsqu’ils sont perçus par l’oreille. Cette idée du
son qui vient frapper l’oreille est contraire aux théories du
son développées par les théoriciens scolastiques à ces
époques, et elle est sans aucun doute une réminiscence
de l’atomisme ancien. La théorie atomiste sera reprise au
XVII
e
siècle par Pierre Gassendi, qui fait renaître les textes
d’Epicure en les traduisant du grec au latin, et qui tente de la
concilier avec le dogme de l’Eglise. Cette tentative échoue
mais elle influence la science moderne, en particulier chez
les cartésiens. En revanche, en ce qui concerne la propa-
gation du son, et le flux de ces «grains de son», c’est une
voie pratiquement sans issue.
Conseils de lecture
Diogène Laerce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, Garnier,
Paris, 1933, Traduction Robert Genaille
Pierre Gassendi,, Animadversiones in libri X Diogenis Laertii, Barbier, Lyon, 1649
François Bernier, Abrégé de la philosophie de Gassendi, 7 volumes, Anisson,
Lyon, 1684, Fayard, Paris, 1992
Hermann Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, 1903, traduction
française par J.P. Dumont, Les présocratiques, Gallimard, Paris, 1988
Lucrèce, De rerum natura, De la nature, Garnier, Paris, 1964, Traduction
Henri Clouard
Pierre Liénard, Petite histoire de l’acoustique, Société Française d’Acoustique,
Hermès, Paris, 2001
Électronicien et acousticien, François Baskevitch a effectué une longue
carrière dans le domaine de l’électro-acoustique. Il est ingénieur en télé-
communications et traitement du signal audio, et docteur en histoire des
sciences, spécialisé en histoire de l’acoustique physique. Il est membre
de la Société Française d’Acoustique (SFA) et de la Société Française
d’Histoire des Sciences et des Techniques (SFHST).
Contact : fbaskevitch@free.fr