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quand il est mû comme une masse continue et une », puis
précise : « Est donc sonore le corps capable de mettre en
mouvement une masse d’air, laquelle est une par conti-
nuité jusqu’à l’organe de l’ouïe. Il existe une masse d’air
qui est dans une union naturelle avec l’organe de l’ouïe ».
Cette notion d’unité et de continuité de l’air sonore s’op-
pose à la faculté d’émiettement et de dispersion de l’air
au repos. C’est un peu confus, et la tâche de l’historien
est rendue difficile en raison du grand nombre de traduc-
tions successives sur un sujet qui a finalement assez peu
attiré l’attention des philosophes.
Un autre texte traitant de la physique des sons a long-
temps été attribué à Aristote, mais on sait à présent qu’il
est plus tardif et probablement de son disciple Straton, il
s’agit du De audibilibus (en grec, Peri acoustôn). L’auteur
introduit la notion de discontinuité de l’air, composé de
« parties ». Dans l’incapacité de représenter correctement
les mouvements de l’air sonore selon Aristote, Straton
invoque les chocs, non seulement lors de la production
des sons, mais également lors de la propagation. Dans
le De audibilibus, le mouvement du son est considéré
comme une succession de chocs affectant des tranches
d’air conjointes, séparés par des intervalles trop brefs
pour être perçus. La hauteur du son correspond alors au
nombre de ces chocs, et la tentation est grande de faire
d’Aristote l’inventeur de la notion de vibration. En réalité,
la théorie de l’auteur du De audibilibus, si elle constitue
une esquisse de la théorie ondulatoire, évoque la propa-
gation de chocs successifs, et non de la propagation
immatérielle d’une perturbation. Cette distinction est déli-
cate mais essentielle, car la théorie des chocs succes-
sifs de parties d’air fait obstacle à une compréhension
du phénomène de propagation des ondes, encore de nos
jours chez les non physiciens. Les conséquences de cette
mauvaise interprétation sont nombreuses, notamment
sur la vitesse de propagation constante et sur la faculté
des sons à ne pas être altérés lors de croisements. Cette
représentation approximative est également à l’origine
de la notion impropre de « rayons sonores » qui induit
l’idée d’un comportement strictement géométrique de la
propagation du son selon des trajectoires, en particulier
quand on parle des réflexions et de l’écho.
La représentation du son analogue aux ronds dans l’eau
nous vient également de l’Antiquité, peut-être dans un
traité de physique disparu de Chrysippe (III
e
s. av. J.-C.),
et plus sûrement dans le Traité d’architecture de Vitruve
( I
er
siècle). Cette représentation, pédagogique mais
insuffisante, illustre sans l’expliquer la faculté de super-
position et la diffusion circulaire. Son inadaptation à
la propagation des sons est révélée vers 1670 par un
savant jésuite peu connu et disparu prématurément,
Ignace-Gaston Pardies (1636-1673). Il élabore une hypo-
thèse ondulatoire applicable au son, mais également à
la lumière, au magnétisme et à l’électricité, c’est-à-dire
aux phénomènes d’action à distance. Pour comprendre
réellement ce qu’est la propagation des ondes, il faut
attendre 1750. Le passage par les mathématiques est
nécessaire, l’analyse remplaçant alors la géométrie, et
se réalise lors d’une controverse fructueuse et célèbre
sur le mouvement des « cordes vibrantes ». Euler, d’Alem-
bert et Daniel Bernoulli y participent, bientôt rejoints par
Lagrange, et construisent la théorie des ondes en propo-
sant une solution pour l’équation aux dérivées partielles
définissant le mouvement de vibration, c’est-à-dire une
somme de fonctions trigonométriques fondatrice des
séries de Fourier.
L’absence d’un réel enseignement de l’acoustique dans
nos écoles depuis une centaine d’années favorise la diffu-
sion dans le grand public d’idées approximatives sur la
nature réelle du mouvement vibratoire et de la notion d’on-
des. L’histoire des représentations du son peut contri-
buer, par la reconstruction des différentes théories et
de ses nombreux errements, à proposer une approche
de l’acoustique rigoureuse sans être académique. C’est
l’objet de la série d’articles sur l’Histoire de l’Acoustique
physique inaugurée ici.
Conseils de lecture
Aristote, Traité de l’âme, livre II, chapitre 8 (nombreu-
ses éditions).
Pierre Liénard, Petite histoire de l’acoustique, Paris,
Hermes/SFA, 2001.
R.B. Lindsay, Acoustics, historical and philosophical devel-
opment, DHR, Stroudsburg, 1974.
F.V. Hunt, Origins in acoustics, YUP, New Haven, 1978.
Électronicien et acousticien, François Baskevitch a effectué une longue
carrière dans le domaine de l’électro-acoustique. Il est ingénieur en télé-
communications et traitement du signal audio, et docteur en histoire
des sciences, spécialisé en histoire de l’acoustique physique.
Il est membre de la Société Française d’Acoustique (SFA) et de la Société
Française d’Histoire des Sciences et des Techniques (SFHST).
Contact : fbaskevitch@free.fr