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historien des sciences est souvent conduit à bouscu-
ler un certain nombre de mythes et de légendes. L’Histoire
ne se fonde pas sur les histoires, mais sur les traces et sur
les textes. Or, les historiens ne disposent que d’une infime
partie des textes produits dans l’Antiquité. L’élimination de
nombreux auteurs en raison de leur rejet par les différentes
idéologies successives, aggrave cette pénurie. Platon, et
surtout son disciple (pourtant fort différent) Aristote béné-
ficient, à des époques différentes, de la faveur de deux
religions dominantes. Les savants arabo-musulmans du
IX
e
au XV
e
siècle préservent les textes d’Aristote et les
transmettent, via l’Andalousie, aux universités occiden-
tales en pleine gestation, vers le XIII
e
siècle. L’Eglise est
alors à la recherche d’un « système scientifique » cohé-
rent et compatible avec le dogme. Moyennant quelques
adaptations effectuées notamment par Thomas d’Aquin, la
science aristotélicienne convient et les Scolastiques l’en-
seignent jusqu’au XVII
e
siècle. Les pensées scientifiques
alternatives, comme l’atomisme d’Epicure ou la science
stoïcienne, sont ignorées. Par ailleurs, les textes disponi-
bles sont souvent des copies successives de traductions
multiples, et les erreurs sont fréquentes. Il n’est pas rare
de lire que les Grecs ont découvert la nature ondulatoire
du son, ce qui est faux, les notions même de vibration et
de fréquence leur étant inconnues
1
. Il convient donc d’être
très prudent lorsqu’on pratique excessivement la vénéra-
tion pour les Anciens.
Les connaissances des Anciens en acoustique sont inéga-
les. Environ 600 avant notre ère, les pythagoriciens élabo-
rent de façon mathématique un système d’intervalles
musicaux à l’origine de la théorie musicale en Occident.
En revanche, les savants grecs écrivent peu sur la nature
physique du son. Platon, dont on dispose d’un grand
nombre de textes, évoque le sujet dans le Timée : « D’une
manière générale, nous pouvons définir le son comme un
coup donné par l’air à travers les oreilles au cerveau et au
sang et arrivant jusqu’à l’âme. Le mouvement qui s’ensuit,
lequel commence à la tête et se termine dans la région
du foie, est l’ouïe. Ce mouvement est-il rapide, le son est
aigu; s’il est plus lent, le son est plus grave ».
1- Par exemple, le terme grec tremos, dont la traduction latine est tremor, signifie
“tremblement”, mais on le traduit fréquemment par “vibration” ce qui est inexact.
L’emploi par les Anciens de tremare, “trembler”, lorsqu’ils parlent du son, exprime
seulement la perception tactile du corps sonore qui tremble, lorsqu’ils parlent du
son, exprime seulement la perception tactile du corps sonore qui tremble, mais
pas du tout la nature ondulatoire de la propagation du son.
Depuis longtemps, et encore pour quelques siècles, on
associe le son à un choc et à un mouvement dont la « rapi-
dité » détermine la hauteur. Jusqu’au XVII
e
siècle, la vitesse
du son, variable ou non selon la hauteur, pose problème,
de même que la nature du mouvement : Y a-t-il transport
de matière lors de la propagation d’un son ?
- Les Épicuriens, que l’on connaît peu et mal, affirment
(leur théorie de la matière est atomiste), que le son est
un flux de corpuscules.
- Les Stoïciens, dont on dispose de peu de textes, seraient
les premiers à évoquer les « cercles qui se forment dans
l’eau après qu’on y a jeté une pierre ».
Le mouvement est une notion importante chez Aristote.
Il le définit comme une transition, une combinaison, ou
une coexistence momentanée « de l’être en puissance et
de l’être en acte ». Le mouvement (kinesis) est une trans-
formation qu’Aristote classe en quatre sortes, selon le
genre auquel elle s’applique : la substance, la qualité, la
quantité et le lieu.
La transformation de substance (la « génération et la corrup-
tion ») et celle de la quantité (accroissement et diminution)
concernent la nature de la matière. La transformation de
la qualité (alloiôsis) concerne les quatre éléments (terre,
eau, air, feu) constituant la matière selon leurs qualités
(terre = froid et sec, eau = froid et humide, air = chaud
et humide et feu = chaud et sec). Enfin, la transforma-
tion selon le lieu, c’est ce qu’on appelle le « mouvement
local » (phora) ou déplacement de matière. Il n’y a pas
de place pour le mouvement sans transport de matière
comme celui de la propagation du son. Dès lors, privé de
déplacement, le son est instantané. Le délai entre le coup
donné à distance par le bûcheron et la perception du son
est alors attribué à une moindre sensibilité de l’ouïe sur
la vue. Les Anciens évoquent la nature physique du son à
l’occasion de l’étude des sensations.
Aristote parle du son dans le Traité de l’âme, texte abon-
damment commenté par les Scolastiques qui étudie les
fonctions intellectuelles, et notamment la perception. Il y
affirme que « la production du son est toujours celle de
quelque chose par rapport à quelque chose, et dans quel-
que chose, car c’est un choc qui est la cause productrice
du son ». L’introduction du milieu de propagation, l’air,
bien entendu, mais également l’eau, est nouvelle. Aristote
écrit que « l’air est bien la cause efficiente de l’audition,
Aux origines de l’acoustique physique :
la science d’Aristote
François Baskevitch, docteur en Histoire des sciences,
spécialisé en Histoire de l’Acoustique physique
L’