Spécial “ Acoustics’08 ”
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Acoustique
&
Techniques n° 53
L’audition comme domaine d’application de l’acoustique (à la physiologie, à la médecine, à la prévention et à la réhabilitation des surdités)
pure. Les approches neuro-anatomiques puis moléculaires
et génétiques, notamment, ont permis d’identifier les
structures subcellulaires et les réseaux neuronaux à l’origine
de certains traitements du message sonore.
En sens inverse, des tentatives dans les années 1980 ont
visé à appliquer les connaissances acquises en Physiologie
de l’audition, périphérique ou centrale, à l’élucidation de
problèmes d’acoustique tels que ceux ayant trait à l’analyse
automatique de la parole, question ayant soulevé beaucoup
d’intérêt en parallèle avec l’avènement des ordinateurs
personnels. Les mécanismes dits périphériques de
l’audition impliquent directement les traitements acoustiques
effectués par les structures de l’oreille, tandis que les
mécanismes centraux concernent les réseaux neuronaux
auditifs, l’anatomie et la Physiologie de leurs connexions ;
ils concernent l’acousticien moins directement, mais lui
offrent des sujets de réflexion généraux : Comment un
système comme le système nerveux central peut-il extraire
des informations précises relatives à des sources ou à des
flux sonores malgré la présence de bruit et de conditions
a priori défavorables au traitement du signal ?
Toujours le sens allant de la Physiologie à l’acoustique, les
acousticiens ont eu besoin d’apprendre des physiologistes
quels types de sons induisent des risques pour l’audition
des sujets exposés et par quels mécanismes. Ces études
échelonnées, de la seconde guerre mondiale à nos jours,
ont permis d’établir des réglementations satisfaisantes,
quoiqu’ayant encore évolué récemment avec l’uniformisation
européenne, et d’adresser le complexe et coûteux problème
des nuisances sonores. Celui-ci reste d’actualité, dès qu’il
s’agit de construire une nouvelle ligne ferroviaire à grande
vitesse, une piste d’aéroport, une ligne de tramway, un
champ d’éoliennes, et même très récemment, d’installer
des haut-parleurs destinés à émettre des hautes fréquences
répulsives pour les jeunes indésirables, et inaudibles pour
leurs ainés… Les thèmes consistant à diminuer le bruit
de roulement des voitures, ou à rendre le bruit de leur
moteur tolérable ou même agréable à l’oreille des usagers,
font l’objet d’une réelle attention de la part de l’industrie.
Même si de nombreux aspects importants sont résolus
scientifiquement, le domaine des recherches en Physiologie
reste actif avec l’étude des nuisances combinées (bruit et,
par exemple, solvants industriels), et une branche importante
de la Physiologie auditive s’intéresse à la recherche de
solutions de prévention à l’échelle cellulaire. Ces travaux
sont une suite logique, mais hautement personnalisée et
sophistiquée, à ceux visant à concevoir des protecteurs
passifs ou actifs externes, destinés à être portés par le
sujet exposé. Une autre conséquence de l’existence de
ces terrains de recherche pluridisciplinaires à fort potentiel
économique est la nécessité pour les enseignements
universitaires d’Acoustique d’intégrer les données de base
en Acoustique physiologique, nécessité prise en compte
depuis longtemps en France, mais qui ne va pas de soi vu
la dispersion des compétences d’une université à l’autre.
Un autre terrain de réflexion commun aux acousticiens, aux
physiologistes, aux médecins et aux industriels - évident
mais longtemps limité dans sa capacité à apporter des
solutions concrètes, est celui des appareils auditifs pour
malentendants. L’enjeu industriel est conséquent : plus de
5 millions de Français ont des problèmes d’audition au point
de pouvoir bénéficier d’un appareillage, mais, par ignorance
ou méfiance, seulement un million sont effectivement
appareillés. La transposition de ces chiffres à l’échelle
mondiale montre l’intérêt potentiel de ce domaine frontière.
Le challenge que l’avènement des appareils numériques
permet de relever est celui d’utiliser les connaissances en
Acoustique physiologique et perception pour concevoir des
appareils auditifs «intelligents» ou en tout cas de plus en plus
capables de reproduire une partie des prétraitements que la
cochlée sourde est devenue incapable de faire. On peut citer
deux cas extrêmes, celui des surdités débutantes où l’on
peut désormais adapter des appareils amplificateurs dits
open fit qui respectent le confort et le souci de discrétion
du patient en laissant ses conduits auditifs ouverts, sans
inconvénient acoustique grâce à un dispositif anti-Larsen
actif, et le cas des surdités quasi totales où un implant
cochléaire se substitue efficacement à la cochlée inopérante
pour aller stimuler directement le nerf auditif.
Thèmes scientifiques actuels sous-jacents
La description ci-dessous ne vise aucunement à être
exhaustive dans un domaine carrefour, les applications
mentionnées sont parmi les plus susceptibles d’intéresser
le domaine médical en relation avec la surdité. Le
fonctionnement normal de la cochlée semblait avoir été résolu
lorsque le prix Nobel a été décerné à Békésy en 1961. Mais
on ignorait alors que la résonance cochléaire était active, et
Békésy n’avait élucidé, finalement, que le fonctionnement de
la cochlée sourde. Désormais le principe d’une résonance
active, entretenue par une boucle de rétrocontrôle, est
admis et ses conséquences quotidiennement mesurées,
certaines servant de test de dépistage ou de diagnostic
rapide. Cependant le mécanisme exact reste controversé, et
les théories quant à la propagation du son dans la cochlée
restent multiples. Pour résoudre ce problème lancinant,
les physiologistes moléculaires ont (momentanément ?)
supplanté les acousticiens, et, en cataloguant chacune
des molécules impliquées, ils espèrent montrer comment
elles se combinent les unes aux autres, lesquelles sont
indispensables et quelles tâches elles effectuent. L’enjeu
n’est pas seulement académique, car la mise au point de
tests de dépistage et de diagnostic plus fiables, plus précis,
ou plus spécifiques est en jeu, et de nombreux pays qui
ont rendu le dépistage des surdités systématiques à la
naissance sont concernés par la possibilité de progrès.
La réalisation et la calibration correctes de ces tests reste
un domaine actif de l’Acoustique, partagé avec les médecins
ORL. Les instances professionnelles de ces derniers se
préoccupent d’ailleurs de leur démographie, bientôt
inadaptée pour faire face au nombre de sujets sourds qui
devraient être pris en charge, mais ne le sont pas.
Malgré des législations de plus en plus adaptées, l’exposition
au bruit et aux sons forts est un problème croissant de
société et de santé publique. On a enfin compris que
les conséquences médicales d’expositions excessives
pouvaient se payer plusieurs décennies après l’exposition,
et en grande partie parce que les expositions excessives
sont moins souvent professionnelles et plus souvent
dans le cadre de loisirs, où le sujet concerné s’expose
délibérément (quoique pas toujours sciemment). Ceci pose
deux challenges aux acousticiens et aux physiologistes