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Spécial “ Acoustique sous-marine ”
Acoustique
&
Techniques n° 48
180 dB re. 1 µPa, indépendamment de la fréquence, de la
durée et de l’occurrence des signaux, et de l’espèce animale
concernée. L’évidente insuffisance d’une telle définition (qui
a au moins le mérite d’exister et de constituer un point de
référence) a été largement soulignée depuis, et d’autres
définitions des seuils ont été proposées, paramétrées par
l’espèce (ou le groupe d’espèces), le type et la durée des
signaux (continu ou impulsionnel), le type de risque (TTS ou
PTS)… Mais on est ramené au problème précédent, à savoir
que les données manquent pour renseigner la riche variété
de cas ainsi définis.
Dans certains pays (USA, Australie, Royaume-Uni, Brésil…)
des
réglementations d’utilisation des systèmes sonores
sous-marins
ont été instaurées. Aux États-Unis, la mise
en œuvre de systèmes sonars ou sismiques nécessite
aujourd’hui l’obtention préalable d’une autorisation de « prise
occasionnelle » (incidental catch), appelée aussi autorisation de
harcèlement occasionnel (Incidental harassment authorization).
Ces autorisations sont délivrées par l’Administration après
examen par le NMFS (National Marine Fisheries Service), en
fonction de l’analyse d’un dossier de préparation incluant une
estimation de la fréquentation de la zone de travail par des
mammifères marins, ainsi la quantification des intensités
acoustiques mises en jeu. L’Union Européenne n’a pas
encore adopté de telles mesures réglementaires bien que
des pressions pour aller en ce sens commencent à apparaître
(un projet de moratoire sur l’utilisation des sonars navals basse
fréquence a même été présenté au Parlement en 2005).
En parallèle à l’émergence de réglementations contraignantes,
les marines militaires, les compagnies de sismique marine et
les organismes de recherche océanographique, soumis à la
pression environnementaliste, mènent ou soutiennent d’une
part des actions d’évaluation des risques de leur activité,
au travers d’expertises scientifiques ou de procédures
d’évaluation d’impact environnemental ; d’autre part ils
définissent et mettent en œuvre des mesures de mitigation,
aujourd’hui largement empiriques. Ces mesures comportent
en particulier :
- L’estimation préalable des populations de mammifères marins
présents sur la zone d’opération, qui conditionne la stratégie
de la campagne acoustique. Certaines zones sanctuarisées
sont aujourd’hui pratiquement interdites à toute activité
acoustique délibérée.
- La limitation du niveau des émissions en début d’opérations,
suivie d’une augmentation progressive ; cette phase
d’établissement du niveau (ou ramp-up) est de l’ordre de 20
à 30 minutes, et est prévue pour permettre aux animaux de
s’éloigner suffisamment de la zone de danger. En régime
permanent de fonctionnement, les niveaux sont limités au
strict minimum nécessaire pour les opérations en cours.
- La surveillance, par le navire sur zone, de la présence
éventuelle de mammifères marins ; cette surveillance est
effectuée soit visuellement par des observateurs spécialisés
(cette méthode dépend de la remontée en surface des
animaux, de l’éclairage, et a une portée limitée en distance),
soit par des moyens (encore à un stade expérimental) de
détection acoustique passive des émissions sonores des
mammifères marins. La détection de mammifères marins
dans la zone de danger conduit à l’arrêt des émissions, qui
ne peuvent reprendre qu’après l’éloignement des animaux et
une nouvelle phase de ramp-up.
Il faut noter que, paradoxalement, des signaux acoustiques
artificiels peuvent être délibérément utilisés comme répulsifs
destinés à éloigner les petits cétacés des engins de pêche,
et à éviter leur prise accidentelle dans les filets. La difficulté
de mise au point de ces systèmes (dont l’utilisation par les
pêcheurs devient obligatoire) est la recherche d’un compromis
entre efficacité répulsive et innocuité, équilibre fragile et
compliqué par l’impossibilité de mener des expérimentations
potentiellement dangereuses.
L’augmentation générale du niveau de bruit d’origine
humaine dans les océans
est un phénomène avéré. Elle est
très difficile à quantifier ; un ordre de grandeur couramment
rencontré est de 10-15 dB pour le dernier demi-siècle. Cette
augmentation est due essentiellement à l’augmentation du
trafic maritime, mais aussi des activités industrielles offshore
(prospection sismique et exploitation pétrolière) ; elle peut être
spécialement notable en certaines zones (rails de navigation,
zones pétrolifères). Cette augmentation concerne surtout
les domaines des basses fréquences, pour lesquelles la
propagation des ondes dans l’océan est très peu atténuée.
L’augmentation du bruit ambiant peut avoir pour effet de
limiter les capacités auditives des mammifères marins
(vraisemblablement surtout les mysticètes) en particulier
leurs capacités de communication à grande distance, voire
de leur faire abandonner certaines régions. Tout ceci reste
évidemment assez hypothétique : peu de données existent
corrélant des évaluations objectives du niveau de bruit ambiant
et de l’importance locale des populations de mammifères
marins – et permettant par ailleurs d’isoler la part relative
des causes concomitantes non-acoustiques de variations de
ces populations, ce qui est bien sûr extrêmement complexe
à interpréter.
Si l’existence de risques sonores pour les mammifères
marins est aujourd’hui clairement avérée
, l’ampleur de
leur conséquence à long terme est encore mal évaluée. Dans
l’attente de progrès décisifs et rapides (malheureusement
peu probables) dans la compréhension et la quantification
des risques sonores encourus par les mammifères marins,
la tendance dans les années à venir sera sans doute à la
généralisation voire au renforcement de mesures préventives
pragmatiques, ainsi qu’aux études d’impact des activités sous-
marines bruyantes. La communauté acoustique sous-marine
est aujourd’hui largement concernée et mobilisée autour de ces
questions. Il est toutefois utile de rappeler que la dégradation
de l’environnement dans lequel vivent les mammifères marins
n’est pas uniquement d’ordre acoustique, et que bien d’autres
aspects de l’activité humaine constituent des menaces tout
aussi préoccupantes : la chasse baleinière dont le moratoire
est menacé, le trafic maritime et ses risques de collisions,
la pêche et ses captures accidentelles par filets, la pollution
chimique, voire même le whale watching touristique, sont
autant de facteurs d’agression que ne doit pas masquer la forte
sensibilisation actuelle au thème de la pollution sonore.
Références bibliographiques
Richardson W.J. et al., 1995 Marine Mammals and Noise, Academic Press,
576 pp
Ketten, D.K. Marine mammal auditory systems : a summary of audiometric and
anatomical data and its implications for underwater impacts, NOAA Technical
Memorandum NMFS-SWFSC-256, 74 p, 1998
Ocean Noise and Marine mammals, National Academic Press, 2003
Risques acoustiques et sismiques pour les mammifères marins