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Approfondissons…
Acoustique
&
Techniques n° 44
De même au niveau de la temporalité, on observe
généralement un consensus entre les sujets : ainsi
les voitures, les bus, trams et train produisent des
bruits continus alors que les motos et autres 2-roues
sont sources de bruits discontinus (en particulier les
mobylettes pétaradantes). Seul le métro présente à la
fois des propriétés temporelles de l’ordre du continu
(bourdonnement, régulier) et du discontinu (alarmes de
fermetures de portes, freinages, crissements).
En ce qui concerne l’appréciation, il apparaît que seuls
les transports en commun sont jugés positivement,
en particulier le tramway et le train, et à l’exception du
métro et RER pour lesquels un seul jugement modéré
a été observé, contre 12 jugements négatifs. Cette
remarque confirme les résultats de [13], à savoir
l’importance de la signification liée aux sources de bruit
dans l’appréciation des phénomènes sonores : les bruits
de transports en commun, sources jugées moins néfastes
pour l’environnement et pour l’individu que les véhicules
individuels sont mieux acceptés par les enquêtés.
Représentations des basses fréquences
Nous pouvons maintenant comparer les résultats des
analyses précédentes en vue d’établir des inférences
sur les représentations cognitives associées aux basses
fréquences.
Il convient également cependant d’examiner plus en
détail les différentes interprétations observées dans les
réponses concernant le
bruit de fond
, qui comme nous
l’avons vu donne lieu à diverses perceptions selon qu’il
est perçu comme continu ou discontinu, environnant le
sujet ou plaçant le sujet à l’extérieur, et intégrant ou non
les bruits de présence humaine. Le tableau 3 résume ces
résultats :
Nous voyons que le bruit de fond lui-même donne
lieu à deux interprétations différentes : perçu comme
continu
il est plutôt traité comme un
son
et décrit de
manière objective (i.e. qui se rapporte à l’objet perçu,
ici le phénomène sonore) ; perçu comme
discontinu
il
est plutôt traité comme un
bruit
et décrit de manière
subjective (i.e. qui se rapporte au sujet percevant). Cette
hypothèse est confirmée si l’on considère l’ensemble des
descriptifs utilisés sans se restreindre aux adjectifs mais
en considérant l’ensemble des descriptions (129 occ.),
c’est-à-dire adjectifs, groupes nominaux (e.g. hyponymes
de bruit, surtout utilisés pour décrire le signal) et verbaux
(e.g. ”j’aime bien ça”, surtout utilisés pour décrire les
effets perçus). La proportion de descriptions d’effets
perçus par le sujet passe alors de 11 à 22% contre 78%
de descriptions des propriétés du signal.
Cette proportion augmente encore à 27% des occurrences
de descriptions concernant le ressenti subjectif, lorsque
l’on prend en compte les réponses concernant le bruit de
fond données à la question sur les éléments sonores plutôt
graves, à laquelle 4 sujets ont répondu par des groupes
nominaux construits sur la locution bruit de fond. Ainsi, il
apparaît que le bruit de fond n’est pas uniquement traité
de manière objectivée comme un
son
, mais aussi comme
un
bruit
étant donné l’importance des descriptions
subjectives du ressenti des enquêtés.
Nous voyons qu’un même phénomène sonore, le bruit
de fond, donne lieu à deux interprétations de la part des
enquêtés suivant que le traitement cognitif est orienté
vers le sujet percevant en terme de ressenti en tant que
bruit
, ou orienté vers le phénomène sonore en soi décrit
comme un
son
, objet du monde extérieur avec une prise
de distance du sujet percevant.
Analyses complémentaires
Au terme des analyses de trois enquêtes plus amplement
détaillées dans [6,7]; [8], nous pouvons conclure que les
basses fréquences dans l’environnement sonore urbain :
- sont associées à des processus qui se déroulent dans
le temps en se prolongeant ou en se répétant sur une
longue durée,
- sont perçues autant, si ce n’est plus, par le corps que
par les oreilles : le sujet, comme un corps plongé dans un
environnement, décrit des effets incorporés en référence
à des expériences sensibles.
- sont associés à des sonorités confuses et indistinctes.
Ces trois enquêtes ont également montré que les
phénomènes basses fréquences donnent lieu à deux
représentations cognitives :
- les
événements sonores
, majoritairement perçus
par l’intermédiaire de sources sonores identifiées :
principalement des véhicules (bus, camions) ou parties
de véhicules (moteurs) et des grosses machines (engins
de travaux). Les sujets se trouvant dans l’impossibilité
d’abstraire le bruit lui-même de la source émettrice, la
dénomination de la source sert de médiation pour faire
surgir la référence à une nuisance. Les événements
sonores sont donc généralement assimilés à des bruits
pénibles.
- le
bruit de fond,
majoritairement perçu de manière
globale, indépendamment des sources émettrices et
décrit en termes subjectifs de ressenti des sujets ainsi
qu’en termes objectifs de propriétés du phénomène sonore
(principalement temporalité, hauteur et timbre). Différentes
interprétations du bruit de fond ont été observées selon
qu’il est perçu comme continu ou discontinu, environnant
le sujet ou plaçant le sujet à l’extérieur, et intégrant ou non
les bruits de présence humaine.
DÉNOMINATIONS
CONSTRUITES SUR
ADJECTIFS DESCRIPTIFS DES
RÉFÉRENCE À LA SOURCE
CONTINU
verbes de bruit
imperfectifs simples
propriétés du
signal
abstraction
de la source (sans
jugement hédonique)
DISCONTINU
verbes d’action
perfectifs construits effets
incorporés
ébranlement corporel
indissociation
bruit/source (jugement
négatif associé)
Tableau 3
Basses fréquences en milieu urbain : qu’en disent les citadins ?