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Approfondissons…
Acoustique
&
Techniques n° 44
La psycholinguistique, discipline scientifique, permet
d’identifier les modes d’interaction entre langage et
cognition, en particulier les processus psychologiques
de jugements perceptifs. L’analyse de données verbales
permet notamment d’appréhender le partage et l’objecti-
vation de représentations individuelles négociées en langue
et d’identifier la manière dont les formulations langagières
contribuent à la mise en forme des représentations
en mémoire. Pour cela, il est nécessaire de ne pas se
restreindre à une analyse lexicale, selon la conception de
la langue comme nomenclature, mais plutôt d’étudier les
formulations langagières complètes en contexte.
Notre étude est ainsi fondée sur l’hypothèse que les
expressions verbales permettent l’objectivation, le
partage au sein d’un groupe et l’accès aux objets cognitifs
à la fois individuels et partagés. Cette démarche permet
en particulier d’établir une description des phénomènes
sonores complexes en contexte, à la différence de la
description de stimuli sonores décontextualisés dans une
optique qui assimile le cognitif à du simple traitement
d’information. L’accès à l’interprétation sémantique peut
être établi sur la base d’analyses des constructions
linguistiques utilisées pour la description des phénomènes
sonores, qui permet d’identifier des classes de même
interprétation sémantique en discours, à partir desquelles
il est possible d’inférer une organisation des catégories
cognitives [2,3].
Nous tentons donc de répondre aux questions suivantes :
- Dans quelle mesure la langue (française en l’occurrence)
nous informe-t-elle sur le contenu des représentations
cognitives liées aux phénomènes basses fréquences ?
- Quelles formulations en langue sont possibles pour décrire
ces phénomènes basses fréquences dans un contexte
urbain ? Comment les formes linguistiques sont-elles
construites (analyse morphologique, morphosyntaxique
et lexicale) et dans quel contexte d’énonciation sont-elles
rencontrées (analyse syntaxique et pragmatique) ?
- Quelles formulations sont les plus utilisées spontanément
par les citadins ?
Une telle approche de la perception de l’environnement
sonore permet de dépasser une analyse en termes de
critères purement acoustiques et vise à déterminer la
nature des représentations cognitives associées aux
phénomènes basses fréquences en milieu urbain.
Comment dire les basses fréquences ?
Sémantique des ambiances sonores
Les résultats de premières études sur l’environnement
sonore urbain [4,5] ont conforté la productivité de notre
hypothèse selon laquelle l’analyse des significations
attribuées aux phénomènes sonores doit être préalable
à l’étude de paramètres physiques. En effet, un même
phénomène physique peut être interprété de diverses
façons, dans la mesure où c’est le contenu sémantique
des ambiances sonores familières qui conditionne le
traitement que l’auditeur fait des paramètres physiques.
Il importe donc en premier d’identifier les significations
attribuées aux différentes ambiances (caractérisées par
un lieu, une activité et une temporalité) et aux événements
sonores qui les composent.
La seconde hypothèse, mise en évidence par [5],
concerne la distinction entre des ambiances sonores
événementielles
où les sujets identifient des sources
spécifiques et repérables dans le temps, et des
ambiances
amorphes
, davantage décrites en termes de
propriétés physiques. Cette distinction rejoint la différence
de traitement cognitif observé entre phénomènes
acoustiques interprétés comme ”bruit” ou comme ”son”.
Nous tenterons de déterminer dans quelles mesures ces
distinctions sont valables pour les phénomènes basses
fréquences. (cf. également [3])
En l’absence de connaissances établies préalablement
quant à la description des basses fréquences, le choix
s’est donc porté sur une première approche à partir de
questionnaires ouverts.
Questionnaire
Les questions sont formulées de la manière la plus neutre
possible et sans imposer de terminologie de spécialistes
afin de ne pas orienter a priori les réponses des enquêtés
pour qu’ils s’expriment librement sur leurs perceptions.
L’accent est mis sur le ressenti sensible des ambiances
sonores urbaines.Les questionnaires sont construits de
manière progressive, les premières questions abordent
des thèmes généraux (l’ambiance sonore dans sa
globalité), les questions suivantes sont de plus en plus
spécifiques aux bruits de transports et aux phénomènes
basses fréquences.
Les questionnaires ressemblent dans leur formulation
à certaines enquêtes sociologiques. Ils en diffèrent
cependant par le fait qu’ils s’appliquent à susciter un
ressenti personnel traité en référence à un fonctionnement
sensible en situation. L’analyse ne cherche pas à trouver
des corrélations avec des caractéristiques sociologiques
caractéristiques des différentes identités mais à repérer
des processus psycholinguistiques et cognitifs mis en
oeuvre au quotidien par une catégorie d’individus : les
citadins. Ces processus partagés par un ensemble
d’individus participant à unemême situation sont repérables
sur un nombre restreint d’individus, plus proche de celui
d’expériences de psychologie que d’études de sociologie.
La visée n’est pas d’établir une vérité statistique mais de
définir les régularités de traitements cognitifs dans les
perceptions sensibles d’une catégorie d’individus.
Plusieurs situations d’écoute ont été contrastées avec
des questionnaires sur site, en laboratoire et une enquête
réalisée par courrier. Nous présentons ici l’analyse de
l’enquête courrier qui vise à étudier les représentations en
mémoire
d’ambiancessonores familières (cf. [6,7]; [8] pour
la description des deux autres enquêtes). Dans l’enquête
« courrier », 77 enquêtés répondent chez eux et non pas
en extérieur en effectuant une tâche de remémoration
de leur ressenti des ambiances. Le questionnaire est
composé de 11 questions ouvertes sur les ambiances
sonores urbaines. Les premières questions d’ordre assez
général offrent aux sujets la possibilité de s’exprimer
Basses fréquences en milieu urbain : qu’en disent les citadins ?