54
Approfondissons…
Acoustique
&
Techniques n° 42-43
Les techniques de lutte contre le bruit
avant 1945
En tant que discipline, les techniques de lutte antibruit
recouvrent l’application et la mise en œuvre de
connaissances acoustiques lors de la planification,
de la conception, de la fabrication et de l’exploitation
d’équipements et installations techniques et ce, dans le
but de restreindre les nuisances sonores provoquées.
Très tôt, cette activité fut désignée par des termes qui
évoquent clairement la lutte et le combat. Si le terme de
« défense antibruit » signale un agresseur qui s’en prend au
bien-être et à la santé et dont il faut se défendre, la « lutte
antibruit » et « l’atténuation du bruit » semblent miser sur
une stratégie plus active, sur une attaque qui constitue
peut-être là aussi la meilleure forme de défense.
La vision du bruit en tant qu’agression indésirable qui
débute par la production d’un son, puis enchaîne sur sa
propagation avant d’atteindre nos tympans non protégés
a un équivalent technique direct. En effet, ce parcours
nous livre en parallèle les diverses possibilités dont nous
disposons pour nous attaquer à la nuisance : en limitant
ou en empêchant sa production (émission), ou encore sa
propagation ou encore sa diffusion dans l’environnement
direct de l’auditeur exposé au bruit (immission).
Le bruit chemine donc de l’émission à l’immission, et
c’est sur ce parcours que viennent se placer les diverses
solutions techniques de réduction du bruit, qui entrent
dans des catégories différentes selon le stade où elles
interviennent. Les émissions et les immissions sonores
sont les deux piliers sur lesquels s’appuie toute évaluation
du bruit telle que concrètement définie dans de nombreuses
normes, directives et prescriptions relatives à différents
types de bruits, sources de bruits et environnements
concernés.
Quelles que soient la complexité et la diversité des
environnements techniques, des domaines d’application
et des nuisances, les techniques de réduction du bruit se
placent toujours dans le droit-fil de l’acoustique technique
appliquée, discipline dont les bases physiques sont connues
depuis plusieurs décennies. Dans son traité d’acoustique en
deux volumes :
Theory of Sound
[5] publié en 1894-1896,
John William Strutt [4], plus connu sous le nom de Lord
Rayleigh, donne une description cohérente et pertinente de
l’acoustique physique et mathématique qu’il a contribué à
fonder. Cette description a gardé toute son actualité dans de
nombreux domaines jusqu’à aujourd’hui et elle a permis dès
ce stade de s’ouvrir à des phénomènes dont la découverte
explicite et l’étude n’interviendront qu’ultérieurement. Grâce
aux multiples contributions d’autres contemporains à l’étude
de l’acoustique et de sa perception - parmi lesquels Hermann
von Helmholtz mérite une mention particulière [6], [7], on
parvint dès la fin du XIXe siècle à une bonne compréhension
théorique des fondements de l’acoustique qui servit ensuite
de base aux applications techniques mises en œuvre par les
ingénieurs [8].
Même si la prise de conscience du bruit comme nuisance
sonore n’est intervenue à l’échelle de la société que bien plus
tard, comme en témoignent les entrées des dictionnaires
et encyclopédies précédemment citées, nombreux sont
ceux qui considèrent le bruit comme une gêne dès
l’époque de l’empire allemand [9]. Les désagréments qu’il
entraîne ont été abondamment décrits par les
travailleurs
de l’esprit
qui se plaignent de ses méfaits et de l’entrave à
la réflexion et à la pensée qu’il représente.
Le philosophe Arthur Schopenhauer (1788 – 1860) est souvent
cité en témoignage dans ce contexte. Dans son ouvrage
Parerga et Paralipomena
paru en 1851, il stigmatise dans le
style clair et percutant qui lui est propre
« le claquement infernal
des fouets, qui retentit dans les ruelles sonores des villes
comme une nuisance des plus inexcusables et abominables,
vacarme qui vide l’existence de sa paix et de sa profondeur »
.
En plus des nombreux autres bruits irritants,
« ce claquement
soudain, violent, qui paralyse le cerveau, sabre la réflexion et
poignarde les pensées »
est ressenti comme
« une insolente
moquerie adressée par ceux qui travaillent avec leurs bras à
ceux qui travaillent avec leur esprit »
. Il est déclaré coupable
au motif qu’il
« assassine les pensées »
et
« entrave le travail
de l’esprit »
.
Les plaintes et récriminations de Schopenhauer et des
autres personnes affectées ne restèrent pas sans suites.
Au XIXe siècle, les services d’inspection du travail, de
médecine publique et de police ainsi que les tribunaux
commencèrent à se pencher sur le problème des
nuisances sonores avec en priorité les bruits provenant
des activités artisanales, puis ceux des auberges et des
activités musicales, et ultérieurement ceux des industries
et du trafic. La législation de l’époque disposait en effet
de tout un arsenal permettant de réduire ou d’empêcher
le désagrément du bruit et ses risques pour la santé :
refus d’accorder les permis de construire, de délivrer
ou renouveler les concessions, d’étendre les horaires
d’ouverture. La non-application par les exploitants des
ordonnancesantibruit prévoyant des solutionsdeprotection
acoustique dans le cas des entreprises bruyantes pouvait
entraîner des procès-verbaux voire même la fermeture.
C’est ainsi que naquirent les premières restrictions et
obligations légales, qui furent souvent l’objet de décrets
administratifs et de démêlés juridiques.
Cependant, on constate encore en 1914 que
« l’absence
d’études scientifiques et pratiques relatives au seuil
de nuisance du bruit et au niveau des dommages
causés »
restent un obstacle insurmontable qui bloque
toute possibilité d’intervention des autorités. Même la
Physikalisch-Technische Reichsanstalt
dut reconnaître qu’il
n’existait pas de
« méthodes incontestables permettant
de mesurer les bruits »
[9].
La nécessité de lutter contre les nuisances sonores n’en
devenait pas moins de plus en plus évidente : conséquence
de l’industrialisation, le bruit croissant des entreprises et
des transports faisait de plus en plus de victimes, surtout
dans les zones d’habitation fortement peuplées. Les
services de l’hygiène sociale et les neurologues étaient
d’accord pour constater que les nuisances sonores
provoquaient des maladies telles que la perte du sommeil
ou l’épuisement nerveux et amenuisaient les capacités de
régénération indispensable à l’organisme. Et même si la
nature et l’importance des perturbations restaient matière
à controverse, il était clair que la lutte contre le bruit devait
être l’affaire de la collectivité.
100 ans d’ingénierie acoustique allemande appliquée aux techniques de réduction du bruit