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Approfondissons…
Acoustique
&
Techniques n° 41
un « retour » son sur sa propre voix, s’asseoir pour lire en
parlant à haute voix à un interlocuteur.
Cette tâche révèle des situations « limites » dans lesquelles le
passant cherche à adapter les conditions environnementales.
Notons que parmi celles-ci, les conditions climatiques (vent,
ensoleillement) ont considérablement changé d’un parcours
à l’autre, voire au cours même du parcours. Ainsi, certains
déclarent que le vent faisant voler les pages il fallait trouver un
lieu qui en protège, d’autres précisant que tenir le téléphone
et le journal à la fois demandait que l’on soit au moins assis.
L’environnement sonore n’est donc pas le seul vecteur des
tactiques d’adaptation, toutefois de nombreuses remarques
explicitent comment la relation au son se construit lors de
cette épreuve, elles éclairent en partie comment la forme
construite s’incarne dans une forme sensible.
14 parcourants ont effectué cette partie de l’expérience soit
seuls, soit en couple, dans ce dernier cas l’une des deux
personnes répondait au téléphone et entreprenait la lecture,
les personnes accompagnant les mal ou non voyants ont aussi
pour certaines effectué cette tâche.
Les tactiques mises en oeuvre sont très différenciées, s’il y
a une majorité des expérimentateurs qui va s’asseoir dans la
partie la plus fermée pour mieux s’installer et sans doute mieux
s’entendre lire, certains essayant d’ailleurs différentes assises
à l’intérieur même de cette pièce la plus close, une partie
adopte d’autres choix : soit ils sont mobiles et se déplacent
en lisant, soit ils restent obstinément accoudés tout au long
de la lecture (qui dure en moyenne 4 minutes).
En tout cas, pratiquement aucun ne s’asseoit sur l’assise
principale pour lire au téléphone comme si le fait de se
retrouver face au son ne soit pas adéquat à cette tâche.
Exemples d’attitudes pour assurer la tâche de lire au
téléphone.
1 – Concentration immobile
Premier cas, les personnes restent à l’emplacement du
téléphone malgré les événements sonores ; il semble qu’elles
exploitent les potentialités du dispositif par la position de leur
corps par rapport aux parois. Ils tournent le dos au son et lisent
accoudés lorsqu’ils se tiennent au niveau de la tablette où le
téléphone était posé initialement et où ils posent le journal,
ou se placent de profil par rapport à la ligne émettrice des
haut parleurs extérieurs.
Un trait commun à ces attitudes est ainsi de tourner le dos au
son. Tourner le dos au son est une manière de focaliser son
attention mais permet aussi, dans le cas précis du dispositif
construit de profiter des réflexions de sa propre voix sur la
paroi toute proche, cette dernière favorise une coque sonore
formée avec le corps et la paroi. Le dispositif active alors ce
que nous appelons un processus « formant » de l’ambiance
combinant une attitude délibérée avec un objet matériel. Aucun
participant ne lit face au son.
Une autre attitude révélatrice est celle adoptée par une
enquêtée qui exploite la proximité de deux parois en faufilant
sa tête entre celles-ci fabriquant alors un casque enserrant
la tête. Ici par exemple par les interstices laissés vides dans
la construction dans lesquels le corps peut se glisser et les
sons se diffuser.
Ces interstices créés par l’agencement en « délitement »
offrent des postures et génèrent des relations particulières
avec le son.
2– Les mobiles qui restent du côté exposé
Une autre attitude moins fréquente a été adoptée : certains
continuent de se déplacer, comme si la marche rythmait la
lecture, aidait à suivre le fil du discours. Parmi ces « mobiles »,
certains restent côté rue: « Je ne me suis pas assise pour lire
La personne demeure dans le passage
pour téléphoner. Elle ne s’est pas
déplacée (le téléphone était situé ici sur
un tabouret lors les premiers essais).
Dans l’entretien elle dit apprécier le
fait d’être à l’ombre, craignant être
éblouie si elle allait vers l’avant. Le son
environnant n’entrave pas sa lecture.
Comme nous l’avons dit auparavant,
les raisons données dans l’enquête
après expérience éclairent
souvent l’attitude adoptée.
P5 (il reste accroupi près du téléphone qui
est alors posé dans le passage et se met
un peu de profil) : c’est uniquement pour
pas me trimbaler avec le bouquin. Parce
qu’il était posé sur le tabouret déjà, et puis
j’avais mon (inaudible) dans le bras, et
puis il y avait du soleil donc je suis resté à
l’ombre. Je me trouvais très bien à l’ombre.
La régulation de la voix est d’autre part
soulignée comme nécessaire par ceux qui
connaissent les capacités d’une telle régulation :
« Je lu le texte d’une traite, debout au même
endroit, et j’ai régulé ma voix en fonction
des bruits du train qui était derrière. J’ai
l’habitude depuis très longtemps de lire
des textes «off», donc je sais exactement
réguler ma voix. Donc là-dessus, c’est
artificiel, parce qu’il y a toujours façon de
s’exprimer dans une ambiance bruyante. Y
a des gens qu’on entend absolument pas, et
d’autres qui savent régler leur voix. » (P16)
Lire au téléphone accoudé
dos au front sonore.
Dans le passage,
dos tournés par
rapport aux sources
sonores extérieures
et à la lumière.
Un usage original
du téléphone les
oreilles entre
deux parois
Vision par une
fente de près, on
perçoit les sons
de l’intérieur
Vision par une
fente de plus loin,
on n’entend plus
le son intérieur
Approche écologique de kinesthèses sonores : expérimentation d’un prototype d’abri public et ergonomie acoustique