Approfondissons…
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Acoustique
&
Techniques n° 41
P5: Dès que tu as monté sur la petite marche, il y a vraiment
une rupture qui est d’autant plus forte qu’en plus la hauteur
était limite pour moi. Tu as tendance à te baisser, parce que
tu passes juste en montant. En descendant, ça va. Et l’autre,
pareil. Elle est moins basse, mais elle est plus étroite et plus
fermée donc tu sens extrêmement bien la rupture, il n’y a
aucun problème.
Ces limites ponctuent le parcours, marquent l’espace :
P5: Tant que tu arrives jusqu’au premier montant là, enfin le
premier pilier, donc là c’est assez homogène, je trouve. Et puis
quand tu passes devant ce truc, tu commences à entendre
le petit haut-parleur, la poutre là, donc tu es plus attiré par ce
qui se passe a l’intérieur. Pareil pour le deuxième. C’est vrai
que la première fois que je suis passé, j’ai pas dû rentrer, j’ai
dû simplement m’arrêter je crois, et j’ai regardé et j’ai écouté,
c’est là que j’ai entendu le haut-parleur au dessus, j’ai pas dû
rentrer. (dans la pièce close).
Sur toute la face côté rue fonctionne comme un appui avec
différentes opportunités d’assises légèrement encastrées,
logées dans les plis. La possibilité de « s’enfoncer » plus en
arrière dans l’assise constitue un potentiel d’usage qui met en
jeu des changements auditifs. Le renfoncement des assises
procurent bien un sentiment de retrait qui se traduit dans le
spectre sonore et aussi dans la perception d’une frontalité car
le son vient essentiellement de face et moins de l’arrière.
Dans la pièce semi-close (cf. « inclusion » plus bas) des
subtilités d’audibilité sont sensibles à ce titre du fait des
emplacements de haut parleurs dits « discrets » (non visibles
et diffusant à bas niveau). Ainsi des déplacements minimes,
modifient nettement la composition sonore et les relations
d’audibilité voire d’intelligibilité quand il s’agit des messages.
La pièce bien que petite devient alors un champ sonore
variable.
P. 5: Là où il y a la poutre sonore, effectivement quand tu es
dans la salle d’attente, tu l’entends. Mais il ne faut pas aller trop
vers le bruit d’eau qui coule, parce que sinon tu comprends
plus ce qui se dit, c’est à la limite de l’audibilité quoi. C’est ça la
subtilité dans ce son là, c’est que si tu veux écouter ce qui se
passe dans la poutre sonore faut relativement s’en approcher
et bien prêter attention parce que très rapidement ça se fond,
ça se mélange avec l’autre. Ca se mélange avec le bruit des
passages de trains, de tramways, tout ça. Donc si vraiment,
comment dire… Par rapport à quelqu’un qui attend, la seule
chose que je me suis dis, c’est que si t’es assis là et que tu
attends, tu n’entends pas ce qui se passe dans la gare.
La position assise ou debout peut modifier le rapport au son
diffusé. Ceci tend à montrer que l’expérience des limites est
tout à fait incorporée et sensible, et le dispositif, malgré ses
dimensions très réduites, les met très fortement en jeu. Ce
phénomène est observé aussi sans l’intervention des haut
parleurs dans la relation entre dedans et dehors. Toutes ces
indications illustrent bien ce que nous désignons sous le terme
de kinesthèses sonores.
• La notion d’inclusion phonique est ainsi parfaitement
décrite dans les récits après coup par ceux qui ont ressenti
l’ambivalence sonore de la pièce la plus close et la plus petite
que nous avons fabriquée. De toute évidence les nombreux
commentaires renvoient à cette catégorie d’inclusion sur le
plan phonique et pas uniquement sur le plan spatial même si
sur ce plan le corps est à l’évidence « contenu » dans cette
boîte ouverte.
P 5 : La salle d’attente, c’est vraiment une salle d’attente.
T’es protégé du bruit extérieur tout en étant pas séparé, c’est
à dire que t’entends encore ce qui se passe à l’extérieur,
parce que justement tu n’entends pas bien ce qui se passe
à l’intérieur…
Cette dernière proposition décrit très bien ce rapport d’inclusion
entre intérieur et extérieur, entre dedans et dehors au niveau
sonore ici généré par le rapport entre l’audibilité d’une extériorité
et la limite d’audibilité des autres sons dans l’intérieur.
Cette ambivalence ne vaut pas pour la « coulisse » située
entre le bâtiment existant et le dispositif. Les parcourants
remarquent bien une atténuation du son, mais comme elle
n’est pas dotée d’une sonorité qui serait propre au lieu (les
sons de la halle sont étrangement gommés de la mémoire et
de la perception), le rapport d’inclusion, donnant un sentiment
que le corps est pris dans un contexte lui-même contenu dans
un autre, ne se forme pas. De plus tous les parcourants disent
accélérer leur allure lorsqu’ils passent « derrière », comme si
rien ne méritait arrêt, aussi l’espace n’est pas qualifié, l’idée
d’inclusion semble bien convenir à une certaine immobilité ou
du moins à une faible latitude de mouvement.
Le rapport à l’usage s’inscrit aussi sur un autre plan : le lieu
clos semble adéquat pour parler (la voix propre est plus
audible) et pour ne pas être trop exposé aux sons extérieurs,
une intimité de conversation peut se tenir. Cette production
sonore de soi participe de l’inclusion, il se produit un retour
du son propre qui gomme ou atténue l’extériorité.
Ces éléments montrent comment l’on peut affiner la
qualification sonore d’un objet architectural à une échelle
ergonomique des usages qui convient pour nombre d’objets
architectoniques composant un bâtiment ou un espace
aménagé. La procédure d’évaluation de cette expérimentation
incite les utilisateurs à tester des positions et montrent l’usage
de situations limites où les conditions d’écoute de soi et les
relations à l’environnement se jouent dans un champ restreint.
Le dispositif s’y prête assez bien et de plusieurs manières.
La scène du téléphone : téléphoner et lire un article à
haute voix
La scène du téléphone, reproduite dans des conditions
similaires pour chaque parcourant offre un matériau riche.
Les attitudes employées sont diverses et montrent les
différents potentiels du dispositif en accord au « style » des
parcourants.
On ne peut analyser cette « scène du téléphone » en
se contentant de visionner les images et les vidéos car
l’interprétation peut nous faire établir des relations peu
vérifiables. Les entretiens après parcours éclairent ainsi les
choix et conduites adoptées durant cette tâche qui devait
révéler certains potentiels d’usage sonores du dispositif :
pouvoir se protéger du son ambiant mais aussi pouvoir trouver
S’asseoir pour échanger à deux côte à côte face au front sonore :
l’assise légèrement encastrée contient aussi les paroles émises.
Approche écologique de kinesthèses sonores : expérimentation d’un prototype d’abri public et ergonomie acoustique