Approfondissons…
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Acoustique
&
Techniques n° 41
cette visite sans guide. La bande-son externe et interne est
déclenchée lorsque le parcourant quitte l’enquêteur et entame
son parcours toujours à partir de la proue. Pendant tout le
cours de la visite, la bande sonore fabriquée pour modeler la
situation est donc diffusée de manière à se mêler au contexte
sonore existant.
Cette situation de visite et d’exploration est quelque peu
artificielle; il n’y a pas grand chose à faire pour les personnes
sollicitées que tourner autour et s’installer éventuellement ici
ou là, seul ou à deux. On remarque que les personnes « font
le tour » en regardant surtout cet objet étrange dont l’utilité
n’est pas évidente. Pour palier à une sorte de vacuité de
l’expérience (les individus ne savent pas très bien ce qu’ils ont
à faire), une « mise en acte » particulière était nécessaire.
L’épreuve de la conversation téléphonique
Cette dernière a été pensée pour provoquer une appropriation
sonore active du dispositif, elle a été conçue à partir d’un
appel téléphonique que nous faisons survenir au cours de la
visite (un membre de l’équipe appelle à partir de 4 minutes
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d’exploration libre), il est demandé à la personne de lire un
article par téléphone. Dans le même temps, la bande-son
devient plus présente : le fond sonore augmente jusqu’à
devenir assez fort pour (peut être) provoquer une adaptation
du lecteur. À ce moment du protocole de l’enquête, nous
pensons tester en quoi la modularité sonore du dispositif
offre à la fois des contraintes et des ressources à un ou des
usages ordinaires (discuter, téléphoner, s’asseoir, marcher).
L’attention est alors divisée entre plusieurs actions à conduire.
Téléphoner et lire à haute voix sont des usages sonores,
comme on le verra, le passant se déplace, s’assoit, cherche
une place. Après la fin de l’exploration du visiteur un entretien
est mené avec les participants (individuels ou par deux selon
les modes) selon une grille de questions fixées.
L’objectif de ces parcours d’exploration sonore et motrice du
dispositif construit est donc double :
- d’une part, tester les performances et la modularité sonore
du dispositif ;
- d’autre part, mettre à jour ses potentialités d’usage et son
pouvoir de mobilisation (perceptif, gestuel, moteur) sur le
piéton dans une séquence d’action banale.
Quels types de résultats ?
Tout d’abord, l’expérimentation nous offre différentes sortes
de matériaux : entretiens après parcours, expériences de
l’équipe de recherche elle-même.
• Les parcours ont été filmés, d’abord par une caméra mobile,
puis par deux caméras placées aux extrémités. (La présence
de ces caméras a pu gêner certains enquêtés). Les films
permettent comprendre les enchaînements par rapport au
son (enregistré à distance)
• Des photographies des attitudes et positions adoptées ont
été prises afin de relever certaines poses récurrentes. Ces
documents visuels offrent un matériau révélant des attitudes
particulières.
• Un entretien effectué immédiatement après parcours selon
une grille de question ouverte identique pour tous offre un
matériau de récit à propos de l’expérience qui éclaire bien
certaines attitudes et permet d’en relativiser l’interprétation.
Ce point est important au regard d’une déontologie de
l’observation.
• L’équipe de recherche a effectuée des enregistrements et
des mesures testant le comportement du dispositif.
Nous n’évoquerons que quelques types d’observations
concernant particulièrement les trois notions, les points
positifs et les limites de l’expérience.
Au point de vue des conduites et actions entreprises par
chaque individu sollicité : comment se déplace-t-il ? comment
agit-il ? quelles interactions conduites/environnement sonore
et dispositions spatiales sont observables et qu’est ce que
cela nous amène à concevoir ? Ces questions guident notre
analyse plutôt que savoir comment a été apprécié le contexte
(positivement ou négativement).
On peut distinguer deux plans de résultats concernant les
relations à l’espace: ceux qui relèvent plutôt de représentations
de l’espace de propagation sonore, ils sont énoncés par
le langage dans les entretiens et ceux qui concernent les
mouvements réalisés pouvant être déclenchés par la
situation sonore ou rapportés à elle. Ces derniers relèvent
de l’observation dans le cours de l’action mais sont éclairés
aussi par des commentaires après coup car l’observation
seule ne permet pas de les interpréter de manière sûre. Les
conditions climatiques (éclairement, vent ; chaleur, froid) de
l’expérience ont pu infléchir les conduites, c’est pour cela
que plutôt que tirer des lois de nature comportementaliste
il est intéressant de spécifier des modalités et des styles
d’action qui exploitent l’espace en vue d’une intention qui
peut être de nature sonore. Nous entendons par style, un
mode de conduite associant des caractéristiques de même
famille, par exemple, certains parcourants « tricotent » autour
du dispositif en passant et repassant d’un côté à l’autre,
d’autres progresse méthodiquement, d’autres encore
s’arrêtent à chaque changement. La vitesse de déplacement,
l’orientation du regard (et de l’oreille ?) vers l’extérieur ou
l’intérieur, la manière de contourner, la distance de marche
par rapport aux parois, les emplacements pour échanger
lors des parcours faits à deux, sont des indices qui peuvent
renseigner l’attitude. Les « kinesthèses sonores » que nous
avons relevés sont les suivants :
- se diriger vers le son/s’éloigner d’un son,
- passer la tête dans une ouverture pour entendre,
- s’arrêter à des seuils sonores,
- chercher la provenance de sons,
6 La mise à l’épreuve sonore et usagère du dispositif a été menée par l’équipe
de recherche, voir pour plus de détails notre rapport de recherche op. cit.
7 17 parcours sont ainsi réalisés, entre le 31 mars et le 4 avril 2003, aux Grands
Ateliers de l’Isle d’Abeau, 4 mal voyants participent au protocole de l’enquête.
8 Ce temps a été évalué comme nécessaire pour laisser s’installer le parcourant
dans l’espace et l’ambiance, connaître toutes les facettes du dispositif.
Parcourir en visiteur, orientation quasiment
perpendiculaire par rapport au front
sonore, marche lente observatrice.
Approche écologique de kinesthèses sonores : expérimentation d’un prototype d’abri public et ergonomie acoustique