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Approfondissons…
Acoustique
&
Techniques n° 41
Approche écologique de kinesthèses sonores :
expérimentation d’un prototype d’abri public et
ergonomie acoustique
1
algré un renouvellement et un meilleur affinement des
catégories descriptives, les critères sonores qualitatifs,
sont trop souvent énoncés à la mesure d’une écoute
essentiellement prise comme passive. On tend ainsi à oblitérer
les relations dynamiques qui couplent écoute et action et à ne
pas rendre lisibles les liens entre qualités sonores et qualités
spatiales éprouvées dans la durée et le mouvement. Il est
donc nécessaire d’explorer les capacités d’action humaine
à travers l’amplitude corporelle qui est déployée par le
mouvement dans toute relation à l’environnement sensible.
Ces capacités d’action intéressent directement les solutions
architecturales et techniques.
Au regard d’attitudes strictement défensives vis à vis du
« bruit », de démarches causalistes établies sur le couple
stimulus – réponse, ou d’investigations en terme sémantique
(attribution de significations ou de qualités en fonction des types
d’objets sonores reconnus et appréciés), l’expérimentation de
recherche relatée ici vise à évaluer des situations auditives à
travers l’expérience spatiale et mobile, autrement dit au plus
près des conditions « écologiques » où elle se déroule pour
mettre en oeuvre des puissances d’action.
Certaines recherches menées en contexte réel sur les
pratiques d’habiter dans l’environnement construit ordinaire
nous ont en effet permis de noter que la relation entre son et
espace peut reposer pour l’usager aux niveaux des capacités
d’action ou potentiels qu’offre ou n’offre pas une situation
donnée
2
. Ces capacités d’action mettent ainsi fortement à
contribution certaines compétences du citadin ou de l’usager.
Les compétences sont d’ordre culturel et socialement
codifiées mais relèvent aussi d’un savoir percevoir et agir
incorporé, de nature anthropologique. En ce sens, l’idée
d’affordance de Gibson suggère ce niveau de compétence
d’action d’un sujet qui spécifie son environnement. L’approche
que nous développons s’appuie sur cette idée envisagée dans
le domaine sonore faisant interagir les possibilités d’action et
le « savoir écouter » dont nous disposons [Gaver, 1993] qui
n’est pas réduit à la reconnaissance des objets.
L’ensemble de ces réflexions suggèrent de prendre en
compte l’emprise de l’auditeur sur l’environnement sonore
et pas seulement son écoute. Ceci peut couvrir plusieurs
modalités d’action : le mouvement, le choix d’emplacements,
la modulation de « productions » sonores (voix, actions) ;
voici autant de modalités d’usages qui impliquent à la fois
perception (écoute) et action.
Cette dimension active de l’usage des sons intéresse la
conception des formes architecturales. Il ne s’agit alors pas
de définir des dispositifs architecturaux valant uniquement
par leur degré de performance en terme de réduction de
l’environnement sonore. En un sens, nous modelons notre
environnement sonore et peut être que certaines architectures,
dispositions et situations, le permettent mieux que d’autres.
Ainsi, penser l’architecture par le son met en jeu la forme des
dispositifs, leur « résonance » propre mais aussi un pouvoir
formant qui peut être traduit dans des potentiels d’action
sonores (production de sons et aménagement de l’écoute).
Les dispositifs spatiaux sont compris alors littéralement
comme des « instruments » au sens où ils mettent en jeu nos
façons de jouer avec eux, de nous y mouvoir. Ceci nous paraît
Grégoire Chelkoff
Centre de recherche sur l’espace sonore
École d’architecture
B.P 2636
38026 Grenoble CEDEX 2
gregoire.chelkoff@grenoble.archi.fr
Architecte, docteur en Urbanisme, maître assistant
à l’école d’architecture de Grenoble et chercheur
au Cresson. Ses travaux ont porté sur les espaces
publics, les espaces souterrains, la dimension sonore
et la lumière, ils ont contribué à une investigation
pluridisciplinaire des ambiances architecturales et
urbaines. Il développe une « écologie sensible des
formes urbaines et architecturales » par des recherches
in situ et des expérimentations telle celle qui est décrite
dans cet article.
M
1 Cet article est basé sur notre recherche : G. Chelkoff (responsable scientifique) avec
P. Liveneau, J.L . Bardyn, R. Thomas, N. Remy : Prototypes sonores architecturaux
- Méthodologie pour un catalogue raisonné et des expérimentations constructives,
Recherche financée par le PUCA, CRESSON Grenoble Déc. 2003, 186 p.
2 Nous avons esquissé cette idée de confort potentiel dans Bien être sonore à
domicile (1991) et montré comment dans le logement les habitants modulent leur
relation aux objets sonores et spatiaux (gestion des ouvertures par exemples).