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Machines thermoacoustiques
Petite histoire
Il y a 140 ans (1868), Gustav Kirchhoff proposait une
description complète des phénomènes de propagation
acoustique linéaires en fluides au repos et thermo-visqueux
(gaz dont les propriétés de viscosité et de conduction ther-
mique sont prises en compte) [1]. Sa théorie repose sur
l’équation de Navier-Stokes (qui traduit les effets d’iner-
tie et de viscosité), l’équation de conduction de la chaleur
de Fourier (qui remplace l’équation traduisant l’approxi-
mation de compressions/détentes adiabatiques au cours
du cycle acoustique) et l’équation de conservation de la
masse (qui traduit la compressibilité ici non adiabatique du
fluide) ; Kirchhoff en donne les solutions en ondes planes
et sphériques en milieu infini, faisant notamment apparaî-
tre les constantes de propagation, dont le facteur d’atté-
nuation. De surcroît, écrivant que les particules de gaz
qui touchent à une paroi doivent rester immobiles (condi-
tion de non glissement) et que leur évolution au cours
du cycle acoustique reste isotherme (leur température
reste celle, quasi invariante, de la paroi au cours du cycle
acoustique), Kirchhoff donne les expressions des facteurs
d’atténuation des ondes planes dans les tubes d’usage
courant (instruments de musique à vent par exemple).
Lord Rayleigh a repris en détail cette théorie de Kirchhoff
dans son ouvrage «The theory of sound» [2].
En 1948 (80 années plus tard), Lothar Cremer [3] a montré
que les effets de viscosité et de conduction thermique en
paroi sur la réflexion d’une onde plane harmonique sur une
paroi plane rigide infinie peuvent être pris en compte par
un coefficient de réflexion complexe du mode de propa-
gation acoustique, coefficient de réflexion qui traduit le
déphasage et l’atténuation à la réflexion dus aux phéno-
mènes (cisaillement et échanges thermiques avec la paroi)
qui se développent dans les couches limites visqueuses
et thermiques (dont les épaisseurs peuvent être considé-
rées comme négligeables en ces circonstances). Par suite,
Cremer a proposé de décrire les propriétés de la réflexion
d’ondes planes sur des surfaces planes rigides en termes
d’impédance de paroi, rapport de la pression acousti-
que sur la composante normale de la vitesse particulaire
acoustique en paroi (non nulle car ne représentant plus la
vitesse particulaire totale), qui dépend du coefficient de
viscosité de cisaillement et du coefficient de conduction
thermique, mais également de l’angle d’incidence (ce qui
n’est pas usuel dans la notion d’impédance). L’extension
des résultats de Kirchhoff et Cremer à des modes supé-
rieurs dans des tubes et cavités a été donnée par plusieurs
auteurs par la suite (voir par exemple [4 à 6]).
Au cours des deux dernières décennies, de nouvelles
recherches sur les phénomènes qui se développent dans
les couches limites thermo-visqueuses au voisinage de
parois ont été menées, avec différents objectifs : la mesure
de propriétés physiques de gaz comme constante de
Boltzmann (par analyse des champs acoustiques en cavi-
tés quasi sphériques) [6], la modélisation d’effets d’iner-
tie sur les couches limites visqueuses pour la mesure
des vitesses de rotation (gyromètre acoustique) [7, 8],
et l’analyse des phénomènes thermoacoustiques en vue
de la réalisation de réfrigérateurs (ou pompes à chaleur)
thermoacoustiques et de générateurs thermoacoustiques
[9,10], tous les systèmes mentionnés ici ayant déjà fait
l’objet de maquettes et de prototypes (voire d’industria-
lisation) pour des applications pratiques. Ces phénomè-
nes thermoacoustiques et leurs applications aux machi-
nes thermiques sont présentés plus en détail dans les
paragraphes qui suivent.
Thermoacoustique : les phénomènes physiques
de base
La présentation des phénomènes thermoacoustiques
de base qui suit est purement qualitative et volontaire-
ment simplifiée : il convient donc de noter qu’elle est de
ce fait réductrice.
Tout repose au départ sur la notion de «particule» (au sens
de la mécanique des fluides): une particule est un volume
élémentaire de fluide dont les dimensions sont beaucoup
plus petites que la plus petite longueur d’onde considérée
et, plus généralement beaucoup plus petite que l’ensemble
des dimensions caractéristiques qui apparaissent dans le
formalisme (dont l’épaisseur des couches limites), mais
dont les dimensions sont néanmoins telles que le milieu
fluide se comporte comme un milieu continu.
Diminuer le volume de la particule (par effet d’une onde
acoustique) se traduit par une augmentation de la pression
et corrélativement une augmentation de sa température
(loi de Lechâtelier), et inversement, augmenter le volume
de la particule se traduit par une diminution de la pression
et corrélativement une diminution de sa température. Le
changement local de température du gaz provient de la
quasi adiabaticité (à distance des parois) des compres-
sions/détentes créées par le champ de pression acous-
tique. Champ de pression et champ de température (et
champ de déplacement bien entendu) oscillent de concert
en fonction du point et du temps : pour une transforma-
tion adiabatique dans l’air, à une fluctuation de pression
p de 200 Pa (140 dB) est associée une fluctuation de
température t de 0,2 K et un déplacement particulaire x
de 100 mm environ à 1 kHz. En conséquence, des échan-
ges thermiques entre la particule considérée et son envi-
ronnement prennent place du fait de la conduction ther-
mique (si faible soit-elle).
De surcroît, une particule située au voisinage immédiat
d’une paroi (figure 1, page suivante) est le siège d’échanges
thermiques cycliques avec la paroi : ces échanges pren-
nent place uniquement au voisinage de la paroi, à l’intérieur
de ce qu’il convient d’appeler la couche limite thermique
(dont l’épaisseur est approximativement comprise entre
10 et 100 micronmètres dans le domaine de fréquence
usuel, l’audible). Par ailleurs, du fait de la viscosité du gaz,
la condition de non glissement sur la paroi se traduit par
un champ de déformation sur une distance à la paroi très
faible appelée épaisseur de la couche limite visqueuse,
qui est du même ordre de grandeur que l’épaisseur de la
couche limite thermique mentionnée ci-dessus.
Les phénomènes visqueux et thermiques qui prennent
place dans les couches limites tirent leur énergie du
mouvement acoustique lui-même et donnent naissance à
deux nouveaux modes de vitesse particulaire, le mode dit
entropique (indice h sur la figure 1), associé aux phéno-