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La parole est à …
Acoustique
&
Techniques n° 49
La parole est à…
Pierre Canetto, expert assistance conseil en acoustique à
l’INRS, Institut de recherche et de sécurité au travail
A & T : Pierre Canetto, quels
sont aujourd’hui les enjeux
majeurs du bruit au travail ?
Pierre Canetto :
Le bruit au travail est
un véritable problème de société : c’est
non seulement, une gêne importante
pour de très nombreux travailleurs,
mais aussi une des principales
sources de maladies professionnelles.
Il faut savoir qu'en 2005, près de
1 200 "hypoacousies" ont été reconnues comme maladies
professionnelles. Ce nombre, en augmentation constante
depuis ces dernières années, est malheureusement à mettre
en parallèle avec les conséquences de cette maladie. En
effet, la surdité a un prix humain très lourd, dans la mesure
où elle affecte fortement les relations sociales de l’individu
et qu’elle est irréversible. On peut également évoquer la
charge financière pour les entreprises, puisque, une surdité
professionnelle est évaluée en coût direct moyen à environ
94 000 euros. À cet impact social répondent des
réglementations européenne et française qui déclinent
de nombreuses exigences, essentiellement dédiées aux
employeurs, visant à réduire l’exposition au bruit. D'ailleurs,
la réglementation française a été revue en juillet 2006.
A & T : Dans le domaine de l’acoustique, en quoi le
bruit au travail est-il spécifique ?
PC :
La spécificité du bruit au travail est probablement la
convergence d’approches techniques de natures diverses. Par
exemple, le lieu de propagation est un local clos de grandes
dimensions : la prise en compte de l’aménagement de ce local
et de sa réverbération est voisine d’une approche architecturale.
Par ailleurs, les sources de bruit, comme les récepteurs, sont
nombreux et parfois mobiles : leurs "repérages" peuvent faire
appel à des techniques de localisation de source. La réduction
du bruit à sa source peut nécessiter l'utilisation de méthodes
d’analyse du type "vibroacoustique" sur les équipements.
L’impact des niveaux sonores élevés et d’autres facteurs sur
les traumatismes auditifs fait intervenir des connaissances
dans le domaine physiologique. Une originalité est également
que la notion "d"exposition" nécessite de combiner les niveaux
sonores avec des durées.
A & T : Cette multiplicité de paramètres ne rend-
elle pas ardue ce qu’il est convenu d’appeler, en
prévention de risques professionnels, "l’évaluation
du risque" ?
PC :
Il est en effet difficile de procéder à cette évaluation,
et ce d'autant plus que les conditions d’exposition au bruit
sont éminemment variables d’un travailleur à l’autre, voire
même pour un travailleur donné. Les normes en vigueur
se basent sur des mesurages effectués pour des "Groupes
d’Exposition Homogènes" et pour des ambiances sonores
"représentatives". L’approche est compliquée par la demande
réglementaire de prise en compte de "facteurs aggravants".
L'exemple le plus représentatif est l’exposition simultanée au
bruit et à des substances chimiques ototoxiques. La mise
en œuvre d’une démarche rigoureuse est techniquement
justifiée mais souvent lourde et en particulier pour les PME.
C’est d’ailleurs pourquoi, la réglementation n’impose pas
de mesures, laissant la voie à des démarches alternatives
pour "dépister" les problèmes : la consultation de bases de
données d’expositions ou d’émissions de bruit d’équipements
est un exemple.
A & T : Quels sont les secteurs d’activité les plus
concernés ?
PC :
On ne surprendra personne en évoquant la métallurgie
et la transformation des métaux, le travail du bois, ou encore
le textile… Mais l’agroalimentaire et l’industrie des minéraux
sont également concernés, ainsi que l’agriculture et le BTP.
Le « risque bruit » émerge dans des secteurs d’activité jusqu’à
présent peu pris en compte : dans le tertiaire par exemple, le cas
des centres d’appels téléphoniques est préoccupant, comme
l'est celui des personnels travaillant dans les piscines. Enfin,
certains secteurs présentent des situations qui demandent
une approche spécifique : les musiciens et professionnels du
spectacle, les utilisateurs d’armes à feu…
A & T : Justement, quelles sont les solutions utilisées
pour réduire l’exposition au bruit ?
PC :
La philosophie de la prévention des risques professionnels
donne la primauté aux actions qui protègent collectivement
les travailleurs par rapport à celles qui les protègent