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Spécial “ Acoustique sous-marine ”
Acoustique
&
Techniques n° 48
Risques acoustiques et sismiques pour les
mammifères marins
Les mammifères marins
(cétacés ou pinnipèdes) utilisent de
manière privilégiée les ondes acoustiques comme support pour
la communication entre individus, la détection des proies et la
localisation dans l’environnement sous-marin. Les différentes
espèces possèdent chacune des capacités propres et très
spécialisées : «chants» à basses fréquences pour les baleines
à fanons ou mysticètes (rorqual, baleine à bosse…) permettant
la communication entre individus à de très grandes distances ;
émission à la fois de cris audibles (pour la communication) et
de clics ultrasonores (pour l’écholocalisation) pour les cétacés
à dents ou odontocètes (dauphins, orques, cachalots…) ;
appareil auditif adapté à la fois à la réception dans l’air et
dans l’eau pour les pinnipèdes (phoques…). On conçoit
aisément que la dégradation de l’environnement sonore
imposée par les activités sous-marines bruyantes d’origine
humaine (industrielles, militaires, scientifiques) puisse donc
avoir de sérieuses répercussions sur cette forme à la fois
supérieurement évoluée et fragile de la vie marine.
Deux niveaux de dangers acoustiques
pèsent aujourd’hui
sur les populations de mammifères marins. De manière aiguë,
certaines opérations impliquant ponctuellement de très fortes
intensités acoustiques (sonar basse fréquence, sismique)
peuvent mettre en danger la vie même des animaux présents
localement sur une zone d’activité ; moins brutalement mais
peut-être tout aussi gravement à long terme, l’augmentation
continuelle du niveau de bruit ambiant fait décroître les
performances auditives des mammifères marins, et pourrait
aller jusqu’à leur rendre inhabitables certaines zones
océaniques.
Quelques événements spectaculaires récents
ont mis en
évidence le danger mortel causé par les ondes acoustiques
de forte puissance dans l’océan. En 1996, 12 baleines à bec
s’échouent sur les côtes grecques suite à des essais de sonar
actif de basse fréquence et forte puissance par un navire de
l’OTAN. En 2000 aux Bahamas, l’échouage de 17 cétacés
est corrélé avec des exercices navals utilisant des sonars
actifs. Même scénario aux Canaries en 2002 et 2004 (14
et 4 baleines à bec). Après quelques réticences, les marines
militaires ont fini par admettre les dangers de leurs activités
sonar envers les mammifères marins, et ont commencé à
mettre en place des mesures de limitation des risques. Par
contre dans le domaine de la sismique marine, qui met en jeu
des sources impulsionnelles très basse fréquence de puissance
considérable pour la détection de ressources en hydrocarbures
dans le sous-sol, aucun événement catastrophique n’a pu être
mis en évidence (un seul cas douteux est reporté, concernant
deux animaux en 2002).
De tels événements sont évidemment très préoccupants,
même si ces chiffres de mortalité (établis à partir des
échouages observés, et donc sans doute inférieurs à la
réalité) restent finalement très limités rapportés aux tailles
actuellement estimées de populations de mammifères marins,
et en comparaison d’autres causes de mortalité d’origine
humaine (en dépit de l’application d’un moratoire sur la chasse,
en place depuis 1985 mais de plus en plus contesté, environ
2 000 baleines sont tuées chaque année ; les captures
accidentelles de dauphins dans les filets de pêche se chiffrent
annuellement en dizaines de milliers). Mais la sensibilisation du
Xavier Lurton
IFREMER
Centre de Brest
Service Acoustique & Sismique
BP 70
29280 Plouzané
E-mail : xavier.lurton@ifremer.fr
Résumé
Les populations de mammifères marins sont exposées à des niveaux de bruit
d’origine anthropique en augmentation constante. Les problèmes liés à cette
surexposition sont passés ici en revue, en insistant sur les risques avérés liés aux
émissions de forte puissance (sonar actif, sismique). Du fait du faible niveau des
connaissances scientifiques sur l’audiométrie de ces animaux, la définition de seuils
de danger et de critères de protection est très délicate. Des mesures de mitigation
des risques sont toutefois mises en place aujourd’hui dans plusieurs domaines
d’activités sous-marines.
Abstract
Marine mammals populations are nowadays exposed to increasing levels of man-
made noise. Issues related to this over-exposure are reviewed, with emphasis on the
recognized risks bound to high-power emissions (active sonar, seismics). Due to the
lack of scientific knowledge about audiometry of marine mammals, the definition of
danger thresholds and safety criteria is made very difficult. Mitigation measures are
however beginning to be applied today in various fields of underwater activities.