Spécial “10
e
anniversaire”
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Acoustique
&
Techniques n° 42-43
nouvelles à un logiciel déjà existant. Ainsi le délai entre
l’aboutissement d’une recherche et la mise à disposition
du public d’applications se réduit et les possibilités de
collaborationsentre laboratoiresde rechercheet industriels
se multiplient. En 2005, la société Arturia distribuera un
produit fonctionnant sur ce principe et offrant la possibilité
de jouer des instruments virtuels développés à la suite
de recherches récentes ou même en cours [107] [108]
[109]. Les modèles utilisés reposent sur une formulation
temporelle du fonctionnement de l’instrument modélisé
particulièrement bien adaptée au jeu temps réel (temps
de calcul faible). De même, des modèles d’instruments
proposés par le Laboratoire de Mécanique et d’Acoustique
[110] [111] seront prochainement mis à disposition du
public sous forme de synthétiseurs musicaux temps-réel.
Les applications de la synthèse par modèle physique
trouvent parfois des applications surprenantes. Une
équipe d’ethnomusicologues du laboratoire « Langues,
Musiques et Sociétés » [112] a fait appel à des modèles
physiques de flûtes Ouldémé pour permettre aux
musiciennes un jeu en temps réel [108] afin d’analyser les
échelles musicales en vigueur dans cette ethnie du Nord
Cameroun. On peut noter que si la plupart des familles
d’instrument de musique sont, ou seront prochainement
présentes dans des synthétiseurs par modélisation
physique, la voix chantée reste encore absente de l’offre
aux musiciens. En effet, malgré des recherches avancées
sur la modélisation de la production du son par la glotte,
et en dépit des similitudes souvent soulignées entre l’auto-
oscillation des cordes vocales et celle des anches ou des
lèvres, la mise à disposition des musiciens d’un modèle
physique de voix chantée apparaît aujourd’hui comme une
perspective dont le terme reste difficile à définir.
Nouveaux instruments acoustiques ou instruments
étendus
Un des buts de l’acoustique musicale est d’analyser
et comprendre le fonctionnement d’instruments de
musique existants afin d’en proposer éventuellement des
améliorations ou des évolutions. Dans cet esprit, plusieurs
études ont été menées pour apporter aux instruments
certaines qualités que les matériaux de fabrication
traditionnels leur interdisaient. Les matériaux composites
ont ainsi été introduits dans la facture instrumentale (pour
améliorer selon les cas : la résistance à l’humidité, aux
variations climatiques, le coût de revient, le poids …) aux
Etats-Unis à la fin des années 70 et en France dans les
années80.Ainsi, plusieursprototypesd’instruments (cordes
frottées, cordes pincées, table d’harmonie de clavecin) ont
été réalisés au Laboratoire d’Acoustique Musicale [113] à
cette époque ; les brevets déposés alors sont maintenant
dans le domaine public. Aujourd’hui, de nombreuses
sociétés commerciales, en France et à l’étranger,
distribuent divers types d’instruments (contrebasses,
harpes, violons et archets, guitares, clarinettes, etc.). Les
facteurs «traditionnels » s’intéressent maintenant à ces
techniques : à titre d’exemple, l’association américaine
des luthiers de violon organise un atelier d’une semaine cet
été autour de la lutherie en composite. Autre exemple, des
anches synthétiques sont aujourd’hui commercialisées, qui
ne procurent pas encore aux musiciens des sensations
toujours aussi satisfaisantes que les anches en roseau.
L’utilisation de matériaux composites comme matériaux de
substitution va devenir incontournable dans certains cas :
le pernambouc, le palissandre de Rio et l’ébène, utilisés
respectivement pour fabriquer les archets, les guitares et
les clarinettes, seront prochainement interdits à la vente.
D’autres exemples de transferts des dix dernières années
peuvent être cités : une clarinette micro-tonale [114] qui
fonctionne par la modification en cours de jeu du volume
du bec par le clarinettiste, (hors période, à moins que des
entreprises n’ait utilisé ce travail dans les 10 dernières
années)la conception d’un système d’assistance aux
timbaliers pour l’accord de la membrane en cours de jeu
pour produire une nouvelle note. On notera enfin que si
leur usage est encore très marginal, les matériaux actifs
constituent pour certains une piste prometteuse pour
les évolutions futures des instruments de musique [115].
Un projet de violoncelle actif est aujourd’hui initié entre le
LAM, l’IRCAM et le compositeur György Kurtag pour une
œuvre à créer en avril 2005.
Aide aux facteurs pour la conception d’instruments
Parmi les nombreux outils développés dans les laboratoires
de recherche, quelques-uns ont trouvé leur chemin vers
la facture professionnelle dans le processus de mise au
point de nouveaux instruments : la mesure de l’impédance
d’entrée des instruments à vent chez certains industriels
(système BIAS par exemple [116]), le calcul de cette
même impédance et donc la prévision des fréquences de
résonance à partir d’une perce prédéfinie par plusieurs
artisans [117]. Un logiciel d’aide aux facteurs et accordeurs
de piano a également été développé [118].
Conclusion
Le champ de cet article, la physique des instruments de
musique, est adjacent à d’autres champs de connaissance
liés à la musique : synthèse sonore, psycho-acoustique
et perception de la musique, jeu instrumental (aspects
moteurs et cognitifs), traitement du signal musical, etc
... La nécessité d’intégrer plusieurs aspects dans le
traitement d’un problème d’acoustique musicale crée
ainsi une richesse et une diversité qui rendent la discipline
particulièrement attrayante pour les scientifiques. Au
plan pédagogique, de nombreuses notions de physique
peuvent être exposées au travers du fonctionnement des
instruments de musique, ainsi qu’en témoignent les pages
web dédiées à l’acoustique musicale [119] [120]. De plus
en plus de musiciens se préoccupent du fonctionnement
de leur instrument et de l’élargissement de son cadre de
jeu (voir par exemple [121] [122]).
Il y a dix ans, le fonctionnement général de chaque classe
d’instrument était déjà bien compris. Cette décennie
a été marquée par l’étude des phénomènes fins ou
particuliers :
- phénomènes non linéaires répartis (propagation non
linéaire, non-linéarités géométriques) ou localisés
(couplage fluide-structure, lois de contact, discontinuités
géométriques dans les résonateurs) ;
- présence et influence du musicien sur la physique du
système ;
Dix ans d’acoustique musicale