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Spécial “10
e
anniversaire”
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Acoustique
&
Techniques n° 42-43
Perception auditive et physiologie
Pour entendre un son, reconnaître sa source, l’évaluer en
fonction de son contexte, voire l’apprécier, les vibrations
acoustiques qui parviennent à nos oreilles doivent être
converties en activité cérébrale. Une partie des études de
psychoacoustique consacrées à l’audition traite donc des
fonctions auditives qui s’établissent le long des circuits
neuronaux, de la périphérie au cortex. Leurs auteurs sont
amenés à conduire leurs recherches en coopération ou en
parallèle avec les spécialistes de la physiologie auditive.
Ces études psychoacoustiques font partie d’une approche
intégrative de l’audition, dans laquelle la psychologie
expérimentale caractérise les percepts des auditeurs et
la physiologie recherche des mécanismes sous-jacents
[1]. Les modèles informatiques sont aussi utilisés pour
relier ces deux facettes de la recherche. L’intérêt de
l’approche intégrative apparaît quand on considère que le
moindre aspect de notre perception des sons peut faire
l’objet d’un très grand nombre d’études psychophysiques,
si l’on veut caractériser l’influence de tous les paramètres
acoustiques et de leurs interactions sur l’expérience de
l’auditeur. En étudiant les mécanismes sous-jacents, on
espère pouvoir proposer des théories unifiant l’explication
des résultats perceptifs, et des modèles permettant des
prédictions et des applications pratiques.
La transduction des vibrations acoustiques en activité
dans le nerf auditif est réalisée dans la cochlée. Cet
encodage initial façonne les indices perceptifs disponibles.
Son étude et sa modélisation permettent par exemple
de mieux comprendre la perception de la parole chez
le normo-entendant et chez le mal-entendant, en vue de
proposer des stratégies pour les prothèses auditives [2].
Des possibles applications cliniques de diagnostic sont
aussi recherchées dans l’étude des fortes composantes
non linéaires de la mécanique cochléaire [3].
Une des particularités du système auditif est que les sons
recrutent un grand nombre de relais sous-corticaux avant
d’atteindre le cortex. Ces relais modifient profondément
l’information transmise, et ils peuvent être vus comme
autant de centres de «traitement de signal neuronal» qui
restent à caractériser. Certains, comme le système olivo-
cochléaire, sont impliqués dans des voies de traitement
descendantes [4]. L’activité de centres comme le noyau
cochléaire peut révéler des corrélats de capacités
perceptives aussi fondamentales que la détection d’un
signal au sein d’un bruit de fond complexe [5].
Les zones corticales auditives font l’objet d’études
utilisant une large panoplie de techniques.
L’enregistrement de l’activité de neurones individuels a
montré la grande plasticité du système thalamo-cortical
[6] ce qui a des conséquences pour les problématiques
liées à l’apprentissage [7]. Les zones traitant d’indices
acoustiques particuliers, comme la modulation
d’amplitude, sont localisées et caractérisées avec
l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique [8] ou
la stéréo-encéphalographie [9]. Enfin, des processus plus
abstraits comme la formation d’objets perceptifs [10]
ou l’établissement de continuité perceptive [11] ont été
étudiés avec l’électro- et la magnétoencéphalographie.
Une des richesses des recherches actuelles en
psychoacoustique est donc que la psychologie
expérimentale, les neurosciences et la modélisation se
combinent tout naturellement, et à plusieurs niveaux
d’analyse : pour étudier des attributs perceptifs
élémentaires, comme la hauteur [12] ou les fluctuations
d’enveloppe d’amplitude [13] ; pour proposer des
mécanismes généraux d’organisation auditive [5 ; 11] ;
pour contribuer à notre compréhension des signaux
complexes, comme la parole ou la musique [14 ; 15].
Analyse des scènes auditives
Dans la plupart des situations naturelles d’écoute, un
ensemble de sons, constituant une «scène auditive»,
parvient simultanément ou successivement à notre oreille.
Face à de telles situations, le système auditif parvient très
bien à isoler et à identifier les différentes sources présentes
dans l’environnement sonore : le système auditif analyse
la scène auditive. Pour réaliser cette analyse, le système
auditif se base sur les caractéristiques acoustiques
communes aux signaux issus d’une même source sonore.
On pourra consulter l’ouvrage de Bregman (1990) [16]
pour un exposé détaillé de ce sujet. Notons que l’analyse
d’une scène auditive ne consiste pas uniquement à
séparer des objets sonores mais également à regrouper
les événements sonores issus de la même source, qu’ils
soient présents simultanément ou qu’ils se succèdent dans
le temps. Ainsi, un ensemble de phonèmes prononcés par
un locuteur formera pour le système auditif ce qu’il est
d’usage d’appeler un flux auditif. Pour regrouper dans un
même flux auditif ou attribuer des flux auditifs distincts
à des événements sonores qui, se succédant, forment
des séquences temporelles, le système auditif s’appuie
sur des similitudes ou sur des différences acoustiques
(hauteur, timbre, propriétés temporelles…) existantes et
perceptibles.
La compréhension de ces mécanismes est un enjeu majeur
de la psychoacoustique qui, sur le plan fondamental,
peine encore à expliquer la perception auditive en milieu
bruité. Une meilleure connaissance de ces mécanismes
pourrait sans doute permettre de mieux comprendre,
à défaut de résoudre, les difficultés spécifiques des
personnes malentendantes dans ces situations, qu’elles
soient équipées ou non d’une prothèse auditive. Une
plainte récurrente des malentendants consiste en effet
à regretter leur gêne considérable en milieu bruité et
l’efficacité limitée de leur aide auditive dans ces situations.
La complexité et notre large incompréhension de ces
mécanismes contribuent par ailleurs à l’échec des logiciels
de reconnaissance vocale automatique en présence
de bruit ou de voix concurrentes. Une stratégie parmi
d’autres utilisée par certains de ces logiciels consiste en
effet à «mimer» le fonctionnement du système auditif.
Sur le plan fondamental, la communauté psychoacoustique
française a très fortement contribué aux connaissances
actuelles des mécanismes perceptifs liés à l’analyse des
scènes auditives sous tous ses aspects. Ainsi, des travaux
extrêmement variés issus de laboratoires français ont
porté sur la séparation de sources simultanées [17] ou
non simultanées [18]. De nombreux travaux ont contribué
La psychoacoustique : science de l’audition, science du son