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Spécial “Design Sonore”
Acoustique
&
Techniques n° 41
Quoi de plus immatériel que l’espace ?
Sa modélisation n’en fait apparaître que les limites, son
occupation ne révèle rien de sa matière. Quoi de plus instable
que le sonore ?
A peine apparu, déjà disparu, nécessitant une constante
dépense d’énergie pour rester en vie.
L’espace et le sonore sont relatifs, forcément relatifs. C’est
leur relation qui est essentielle. La relation de l’espace au
sonore peut être, tout simplement, celle d’un contenant -
l’espace - à son contenu - le sonore. Les exemples d’une
telle relation abondent dans la vie ordinaire, sur une échelle
allant du monophonique au symphonique : de l’espace sonore
d’une cabine téléphonique à celui d’une salle de concert. On
observe dans l’univers musical une inversion de cette relation:
le sonore recèle la clef ou le code de l’espace qu’il évoque ou
convoque (selon que leur relation est basée sur la complicité
ou l’autorité) sur une échelle allant du stéréophonique stable
au multiphonique agité.
Dans la relation de l’espace au sonore, l’un comme l’autre
peuvent être en suspens: l’espace architectural de la
cathédrale retient son souffle, l’ampleur de sa réverbération;
l’espace musical de la démo «Dolby Surround» au cinéma
n’accroche pas l’écran, nul cristal n’y paraît. Cette suspension
de l’espace ou du sonore se joue du temps: à visiter un théâtre
antique, on y encore les clameurs, les rires et la rumeur; à
frapper du maillet un des premiers lithophones, c’est toute
une grotte en lumière vacillante qui réapparaît.
L’espace et le sonore peuvent aussi entretenir une relation
féconde, générant principalement de l’espace ou du sonore:
il suffit d’un banc renversé pour éveiller l’espace sonore
immense de la cathédrale; il suffit de l’apparition furtive d’un
trait de laser bleu pour révéler la concentration explosive de la
démo «Dolby Surround». C’est aussi parfois de cogénération
qu’il s’agit : l’espace ou le sonore ne sont rien l’un sans l’autre,
leur rencontre est une alchimie fondatrice. Les exemples
abondent au théâtre (par exemple, les mises en scène de
Robert Wilson), ils sont plus rares (ou moins spectaculaires)
dans la vie quotidienne : l’abri d’un parapluie sous l’averse
torrentielle (« il pleut des cordes »), le sommet isolé de la
montagne enneigée émergeant des nuages (« le grand silence
blanc »). De l’espace ou du sonore, l’un sert souvent l’autre.
Au quotidien, la communication a capella dépend de l’espace
comme support : les caractères de l’espace (configuration
géométrique, dimensions, aire équivalente d’absorption)
conditionnent la qualité de la transmission. L’organisation d’un
trajet dans un espace complexe se fait souvent à l’oreille :
colorations acoustiques, voies de propagation des indices
sonores, timbres émergeants, signaux identifiants constituent
L’espace et le sonore
Bernard Delage
Via Sonora
6, rue Mercoeur
75011 Paris
Tél. 01 43 70 82 50
viasonora@wanadoo.fr
L’auteur, architecte et acousticien, explore les
rapports entre l’espace et le sonore : simple
relation de contenant à contenu ou relation
féconde de cogénération, de coordination, de
mise en valeur respective.