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Jurisprudence - Sonneries de cloches jugées trop fréquentes : la notion d'usage locaux au coeur de la décision des juges

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Sonneries de cloches jugées trop fréquentes : la notion d'usage locaux au coeur de la décision des juges

Article créé le lundi 29 juillet 2013

Un maire avait fait électrifier les cloches de l'église de sa commune et en avait profité pour introduire les sonneries civiles marquant chaque heure du jour (8h à 20h). En appel, les juges ont donné tort à cette commune, considérant que les sonneries des cloches toutes les heures ne font pas partie des usages locaux qui existaient antérieurement à la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.

M. et Mme P. sont propriétaires depuis 1992 d'une maison située à une cinquantaine de mètres de l'église de la commune de Saint-Apollinaire dans l'agglomération dijonnaise. En novembre 2003, le maire décide de faire électrifier le clocher de l'église et de modifier la fréquence des sonneries : entre 7h00 du matin et 22h00, aux sonneries religieuses s'ajoutent désormais des sonneries civiles, toutes les 30 minutes, chaque heure étant marquée par un double martèlement. 

A la suite des protestations de M. et Mme P., le maire accepte de limiter la durée des sonneries des offices à deux minutes, de supprimer la répétition des heures et le tintement des demi-heures, et de réduire l'amplitude horaire des sonneries de 8h00 à 20h00. 

Les époux P. ne se satisfont pas de ces aménagements et prétendent que le maire a méconnu les dispositions de l'article L.2212-1 du CGCT (pouvoirs de police municipale). Ils saisissent le tribunal administratif de Dijon et demandent l'annulation de la décision du maire. Par jugement du 23 février 2006, le tribunal rejette leur demande ainsi que leurs conclusions indemnitaires.

Par un courrier adressé au maire le 21 avril 2006, les époux P. demandent la cessation de toutes les sonneries purement civiles et réclament 3000 euros pour préjudice anormal et spécial. Puis saisissent à nouveau le TA de Dijon et contestent les arguments avancés par le maire. 

Par jugement du 16 octobre 2008, le TA annule la décision du maire, lui enjoint de supprimer les sonneries civiles entre 8h00 et 20h00. La commune fait alors appel de ce jugement, en basant notamment son argumentation sur a prétendue irrégularité de ce jugement (absence de signature de la minute du jugement) et sur le fait que les juges n'ont pas tenu compte des témoignages apportés.

Il ressort des conclusions du jugement, que "le fait que le recours pour excès de pouvoir et recours de plein contentieux, soient distincts, ne contraint pas les juges à présenter séparément leur conclusions". Autrement dit, le TA a fait une synthèse de tous les témoignages pour estimer que les sonneries civiles diurnes ne correspondent pas à un usage local.

Sur le fond, l'article 27 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat dispose que "(...) les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président de l'association culturelle, par arrêté préfectoral. / Le décret prévu par l'article 43 de la présente loi déterminera les conditions et les cas dans lesquels les sonneries civiles pourront avoir lieu".

Au terme de l'article 51 du décret du 16 mars 1906 il est stipulé "les cloches des édifices servant à l'exercice public du culte peuvent être employées aux sonneries civiles dans le cas de péril commun qui exigent un prompt secours. Si elles sont placées dans un édifice appartenant à l'Etat, au département ou à la commune ou attribué à l'association culturelle en vertu des articles 4, 8, 9 de la loi du 9 décembre 1905, elles peuvent, en outre, être utilisées dans les circonstances où cet emploi est prescrit par les dispositions des lois et règlements, ou autorisé par les usages locaux".

Il résulte du décret de 1906 que les usages locaux auxquels il est fait référence sont ceux qui existent au moment de l'entrée en vigueur du texte et de la loi de 1905. Les attestations produites par les époux P. prouvent qu'avant 2003, les heures du jours ne faisaient pas l'objet d'une sonnerie. Les cloches signalaient seulement les messes, les mariages et les enterrements. Les attestations produites par la commune insistent sur les sonneries de l’angélus, le matin, midi et soir, le glas en cas de décès et le tocsin en cas d'incendie.

M. et Mme P. produisent en outre un P.V. de constat comportant la retranscription d'une partie du journal télévisé de France 3 Bourgogne, où le maire reconnaît que l'usage local se limitait à l'Angélus : "...C'est vrai qu'il n'y avait pas d'usage local en dehors de la sonnerie de l’Angélus que j'évoquais tout à l'heure, mais il y a un usage universel et je pense que c'est notre culture en France et partout dans le monde, tous les clochers d'église sonnent".

Dans leurs considérants, les juges d'appel retiennent, d'une part, que l'usage local s'entend "de la pratique suivie à l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 au lieu d'implantation du clocher dans lequel s'exercent les sonneries civiles ; que, par suite, la commune de Saint-Apollinaire ne peut utilement se prévaloir de la sonnerie des heures du jour dans de nombreuses communes de France pour soutenir que cet usage serait également le sien, sans égard à la pratique effectivement suivie sur son territoire". D'autre part, en se basant sur l'ensemble des témoignages produits par les parties, ils retiennent que "l'usage local a toujours été, à Saint-Apollinaire, de ne sonner quotidiennement que les angélus, qui sont des sonneries religieuses, ou épisodiquement et postérieurement à la loi du 9 décembre 1905, les heures du jour ; qu'une telle sonnerie, réactivée en 2003 à la faveur de l'électrification des cloches, ne saurait, dès lors, être regardée comme un usage local antérieur à l'entrée en vigueur des dispositions précitées".

La Cour considère donc que les sonneries de cloches, toutes les heures, ne font pas partie des usages locaux qui existaient à Saint-Apollinaire antérieurement à la loi de 1905 et son décret d'application. Par ces motifs, la cour rejette la requête de la commune et la condamne à verser 2000 euros aux époux P.

Cour Administrative d'Appel de Lyon (4ème chambre-formation à 3) - n°08LY02748 - 25 mars 2010